Une étude française vient jeter un pavé dans la mare : l’exposition aux pesticides pourrait bel et bien peser dans la balance des causes du cancer du pancréas, cette maladie aussi discrète à ses débuts que dévastatrice à son stade avancé. Et si les substances chimiques qui nourrissent nos champs semaient aussi des risques dans nos organismes ? Décryptage.
Discret au début, brutal à la fin : le cancer du pancréas est souvent diagnostiqué tardivement, ce qui en fait l’un des plus redoutables. En France, il est responsable de plus de 11 000 décès par an selon Santé Publique France. S’il reste moins fréquent que d’autres cancers, sa mortalité est extrêmement élevée, avec un taux de survie à cinq ans inférieur à 10 %.
Parmi les causes du cancer du pancréas déjà bien identifiées : le tabac, l’alcool, le surpoids, l’âge, ou encore le diabète. Mais un nouvel acteur s’invite à la table des suspects : les pesticides.
L’usage de pesticides, un ennemi qui monte en puissance
Une étude épidémiologique française qui fait mouche
C’est une équipe de chercheurs français, épaulée par Santé publique France, qui a analysé pas moins de 134 102 cas d’adénocarcinome pancréatique entre 2011 et 2021. Leurs travaux, publiés dans la revue European Journal of Epidemiology, ont comparé la répartition géographique de ces cas avec les quantités de pesticides vendues par commune sur la même période.
Résultat ? Dans les zones où l’usage des pesticides a augmenté de 2,6 kg par hectare en onze ans, le risque de développer un cancer du pancréas a bondi de 1,3 %. Pas de panique immédiate : ce chiffre peut sembler faible, mais il est statistiquement significatif et surtout très parlant à l’échelle d’une population.
Les pesticides dans le viseur : glyphosate, mancozèbe et soufre
Parmi les substances suspectées, on retrouve quelques noms tristement célèbres. Le glyphosate, par exemple, est déjà classé comme “probablement cancérogène” pour l’humain par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC).
Le mancozèbe, utilisé dans les cultures de pommes de terre ou de vignes, est également pointé du doigt pour ses effets potentiellement toxiques. Quant au soufre pulvérisé, souvent utilisé en agriculture biologique, il n’est pas exempt d’interrogations.
Une corrélation, mais pas (encore) une causalité
Les auteurs de l’étude insistent : il ne s’agit pas ici de prouver que les pesticides causent directement le cancer du pancréas. Mais cette corrélation géographique forte est un « signal » suffisamment alarmant pour justifier des recherches plus poussées. En clair, on n’a pas encore attrapé le coupable, mais on a trouvé de gros indices dans sa poche.
Le lien entre environnement et santé est complexe. Les chercheurs appellent donc à mener des études complémentaires, cette fois à l’échelle individuelle, pour comprendre les mécanismes biologiques qui pourraient lier l’exposition chronique aux pesticides et l’apparition du cancer du pancréas.
Pourquoi c’est (très) préoccupant pour la France
La France détient un triste record : elle est le premier utilisateur de pesticides en Europe, avec plus de 66 000 tonnes de produits achetés en 2022 selon le ministère de l’Agriculture. Autant dire que les enjeux de santé publique sont considérables.
Si l’hypothèse se confirme, cela pourrait remettre en question une partie de notre modèle agricole. Les agriculteurs sont d’ailleurs les premiers concernés : ils sont en contact quotidien avec ces substances, parfois sans protection suffisante, et font déjà partie des populations les plus exposées à certains cancers, dont celui du pancréas.
À SAVOIR
Selon une étude de l’INERIS et de l’ANSES publiée en 2023, des traces de pesticides pourtant interdits depuis des années, comme le DDT ou le lindane, sont encore régulièrement détectées dans les sols agricoles français. Ces substances, très persistantes, continuent d’exposer les populations rurales sur le long terme.