La sexualité chez les personnes âgées est de moins en moins taboue. Et non, contrairement aux idées reçues, les rapports intimes diminuent, mais ne cessent pas chez le quatrième âge. Le Dr Céline Candillier est psychiatre et sexologue à Lyon et fondatrice d’Always Valentines, une application qui accompagne les séniors dans leur sexualité. Elle nous éclaire sur les défis que rencontrent les seniors dans leur vie sexuelle.
Selon une étude de l’Université de Liège, 31 % des personnes âgées de 70 à 79 ans continueraient à avoir une vie sexuelle active. Toutefois, les tabous sociétaux, bien que de moins en moins présents, ont encore un impact largement négatif sur leur santé physique et mentale. Céline Candillier, sexologue et psychiatre à Lyon, évoque toute l’importance de maintenir une vie intime épanouie à tout âge.
Sexe après 75 ans : les séniors plombés par une foule d’idées fausses
La sexualité des superseniors est-elle toujours aussi taboue ?
Oui, il y a encore beaucoup de tabous autour de leur sexualité. Je préfère parler de “vie intime” plutôt que de “sexualité”, car ce terme est plus acceptable pour eux. À un certain âge, on parle plus de relations intimes que de sexualité au sens large, qui est souvent associée à des images issues de la pornographie, loin de la réalité des relations intimes.
Malheureusement, il y a une idée fausse que les séniors perdent tout intérêt pour la sexualité, ou que ceux qui sont actifs sont perçus comme anormaux. Il y a aussi des croyances erronées selon lesquelles il est anormal d’avoir des fantasmes sexuels ou de pratiquer la masturbation à un âge avancé, et que le plaisir sexuel diminue avec l’âge. Cependant, les réponses des séniors eux-mêmes montrent une autre réalité.
Qu’est-ce qui explique le déclin du désir sexuel en vieillissant ?
Il y a certes une diminution du désir sexuel avec l’âge, mais elle n’est pas totale. Une étude de 2007 aux États-Unis montre que 38 % des hommes de plus de 75 ans sont encore sexuellement actifs, contre 20 % des femmes. Ce chiffre diminue après 85 ans, mais reste significatif. En France, environ 30 % des séniors de 80 à 85 ans sont encore sexuellement actifs. Les hommes semblent maintenir leur désir plus longtemps que les femmes, peut-être parce que c’est socialement plus acceptable. Certaines femmes, en revanche, associent la ménopause à une baisse de désir, et beaucoup ont enduré le “devoir conjugal” sans vraiment de plaisir.
Quels sont les stéréotypes les plus courants concernant les rapports sexuels des seniors ?
En Occident, on associe souvent l’attirance à un corps jeune et parfait, sans tenir compte du vieillissement. Or, il est possible d’avoir une sexualité épanouie en vieillissant, mais cela nécessite d’accepter les changements de son corps et de s’adapter. Par exemple, à partir d’un certain âge, il est essentiel d’intégrer plus de tendresse et d’intimité dans les relations. L’érection chez l’homme prend plus de temps, tout comme la lubrification chez la femme. Il faut donc apprendre à adapter ses attentes et ses pratiques.
Sexe après 75 ans : “nous vivons dans une société qui valorise la jeunesse”
Quelles sont les conséquences psychologiques de ce tabou sur les personnes âgées ?
La santé sexuelle fait partie intégrante de la santé globale, avec des répercussions physiques, cognitives et psychologiques. Sur le plan physique, avoir des relations intimes contribue à une bonne santé cardiovasculaire. Psychologiquement, une vie intime insatisfaisante peut conduire à la dépression. Il est important de comprendre que même en vieillissant, on reste un adulte avec des besoins et des désirs.
Y a-t-il une forme d’autocensure chez les seniors, surtout chez les femmes ?
Oui, beaucoup de femmes se censurent davantage, en partie à cause des normes sociales et familiales. Par exemple, certaines familles ne supportent pas que leur mère ou grand-mère remplace un conjoint décédé, même si elle en a envie. Cette pression sociale est très forte, surtout dans les familles traditionnelles.
Est-ce que les médias et la culture populaire influencent cette perception de la sexualité des seniors ?
Absolument. Nous vivons dans une société qui valorise la jeunesse. Le marketing, avec ses produits anti-âge, en est un exemple. On doit déconstruire cette image pour accepter le vieillissement et adapter sa vie intime en conséquence. Par exemple, les séniors doivent comprendre que le désir devient moins impulsif, mais que cela peut conduire à une connexion émotionnelle plus profonde. L’orgasme n’est pas toujours l’objectif, et les relations intimes peuvent être tout aussi épanouissantes sans forcément atteindre l’orgasme.
Sexe après 75 ans : “les freins restent nombreux, notamment au sein de la famille”
Les personnes âgées sont-elles influencées par des valeurs culturelles qui renforcent leur pudeur en matière de sexualité ?
Oui, il y a une différence entre les générations. Les plus anciennes, comme celle d’avant-guerre, étaient très silencieuses sur ces sujets. Aujourd’hui, les séniors issus de la génération de 68, qui arrivent à la retraite, sont plus ouverts, mais les freins restent nombreux, notamment au sein de la famille.
Quels sont les avantages pour la santé d’une activité sexuelle après 70 ans ?
Une activité sexuelle régulière a des bienfaits sur le plan cardiovasculaire, libère des hormones du bien-être, et aide à lutter contre la dépression. Il y a aussi des études qui montrent que cela peut prévenir certains troubles cognitifs.
Sexe après 75 ans : des lits doubles dans les Ehpad ?
Que pourraient faire les établissements de soins pour personnes âgées pour créer un environnement plus inclusif en matière de sexualité ?
D’abord, permettre aux couples d’avoir des lits doubles serait un bon début. Ensuite, il faudrait inclure des questions sur la vie intime des résidents lors de leur admission, pour respecter leur vie de couple. Enfin, il est important que les professionnels de santé soient formés à ces questions, pour pouvoir accompagner les seniors de manière adéquate.
Quel message passeriez-vous à des séniors qui considèrent que le sexe n’est plus de leur âge ?
Qu’ils s’interrogent : “Mon absence de désir est-elle réelle, ou est-elle liée à une méconnaissance de mon corps qui a changé ?”. Les réponses sont nombreuses, et il suffit d’oser en parler et de chercher de l’information. C’est ce que nous souhaitons faciliter avec Always Valentines.
Être en vie, c’est être désirant. Il ne faut surtout pas s’interdire de ressentir des désirs sexuels sous prétexte que la société nous l’interdit. Cela fait partie de nous. J’ai fait la connaissance de personnes âgées qui nourrissaient toujours des désirs et avec lesquelles nous avons collaboré pour les accompagner. C’est possible.
À SAVOIR
Always Valentines est une plateforme d’informations, d’éducation et d’accompagnement à la vie amoureuse et intime des personnes âgées. L’application propose des articles de blog réguliers sur toutes les interrogations que les séniors peuvent se poser sur le sujet. Mais également des conférences dédiées en libre accès, des webinaires et des parcours d’accompagnement, autant pour les couples que pour les personnes seules. Fondée par un médecin psychiatre et sexologue lyonnais, le Dr Céline Candillier, Always Valentines a scellé un partenariat en juillet 2024 avec l’application Gabby : “Désireux d’encourager la prise en compte de cette dimension nécessaire à l’équilibre de vie, Gabby, l’application dédiée à faciliter la vie des séniors et de leurs aidants et Always Valentines première plate-forme dédiée à la vie sexuelle des séniors, viennent de conclure un partenariat pour accompagner et améliorer la vie intime, le bien-être et la santé mentale des séniors”.