Un cancer réservé aux seuls fumeurs, vraiment ? L’excès de tabac est pour beaucoup l’unique responsable du cancer du poumon. On sait pourtant aujourd’hui que cette pathologie, comme la plupart des cancers, est d’origine multifactorielle. Et que cette idée reçue peut avoir de lourdes répercussions, tant elle favorise les retards de diagnostics, notamment chez les femmes, pourtant plus touchées que les hommes parmi les non-fumeurs. Les explications de l’un des grands spécialistes français du cancer du poumon, le Pr Julien Mazières, pneumologue-oncologue au CHU de Toulouse.
En France, environ 15 à 20 % des cas de cancer du poumon concernent des non-fumeurs, avec une proportion notable de femmes jeunes. Cette forme de cancer est souvent associée à des anomalies génétiques spécifiques (comme les mutations EGFR, ALK ou ROS1), ce qui le distingue des cancers liés au tabac.
L’exposition à la pollution de l’air, au radon ou à certaines substances professionnelles (amiante, hydrocarbures) peut aussi jouer un rôle.
Chez ces patientes, les symptômes apparaissent souvent tardivement, retardant le diagnostic. Ces cancers, bien que rares, nécessitent une prise en charge spécifique et des traitements ciblés, parfois très efficaces.
Leur reconnaissance croissante pousse à élargir les critères de dépistage, même chez les non-fumeurs, comme l’explique le Pr Julien Mazières, spécialiste du cancer du poumon au CHU de Toulouse et membre du comité scientifique de la campagne Femmes et cancer du poumon, dédiée à la sensibilisation au diagnostic précoce.
Comment explique-t-on cette part importante de non-fumeurs touchés par le cancer du poumon ?
Il existe au moins deux raisons pour expliquer la part importante de non-fumeur touché par le cancer du poumon. La première est que même si la cigarette est le facteur de risque principal, nous respirons d’autres toxiques potentiels qui peut induire des cancers du poumon. Il a par exemple été montré que les particules fines que l’on respire et qui sont attribuées à la pollution peuvent induire des mutations et être associées à des cancers du poumon.
D’autres expositions telles que celle au Radon peuvent également être un facteur de risque chez les non-fumeurs. La deuxième explication est que, comme tout organe, le poumon peut être touché par des cancers de manière indépendante de tout facteur de risque. Des anomalies peuvent se produire dans les cellules de poumons normale qui se transforment en cellules cancéreuses sur de simples anomalies lors des divisions cellulaires indépendantes de toute événement extérieur
Pourquoi fait-on face à des tabous si persistants pour ce type de cancer ?
Comme pour toute maladie, il existe des aprioris face au cancer et en particulier le cancer du poumon. Il est habituellement considéré comme un cancer d’un homme relativement âgé et fumeur. Ceci est en lien avec son épidémiologie datant d’il y a plusieurs dizaines d’années. Ce qui explique que la référence au cancer du poumon est souvent oubliée chez les femmes et chez les sujets plus jeunes. On retrouve ces aprioris à la fois dans la population générale et dans la communauté médicale.
Cela explique par exemple que lorsqu’un homme tousse on pense assez rapidement à un cancer du poumon. Par contre, lorsqu’une femme a des symptômes pulmonaires, on tarde plus à faire des examens complémentaires, pensant que cela peut être expliqué par d’autres raisons et en particulier parfois psychologiques.
On retrouve exactement la même chose dans les douleurs thoraciques qui chez l’homme font penser à un infarctus et chez la femme font souvent rechercher d’autres causes alors que l’infarctus de la femme de 40 ou 50 ans est relativement fréquent.
Outre le tabac, quels sont les autres facteurs de risque de cancer du poumon ?
Il est évident que le tabac sous toutes ses formes est le facteur de risque principal du cancer du poumon. Tous nos efforts doivent porter sur ce facteur de risque en particulier chez les jeunes. Les poumons et les bronches étant très ouvertes sur l’extérieur, tout ce que l’on peut respirer peut être considéré comme un facteur de risque.
Bien sûr nous connaissons depuis longtemps l’amiante comme facteur de risque pour les cancers du poumon et les cancers de la plèvre. D’autres expositions à des radiations ionisantes à l’arsenic ou à des produits issus du pétrole sont également des facteurs de risque. Plus récemment, il a été prouvé que la pollution extérieure pouvait augmenter le risque de cancer du poumon. Enfin le Radon qui est produit naturellement au niveau des sols peut aussi être un facteur de risque.
En matière de prévention, que peut faire un non-fumeur pour y échapper ?
Il est très difficile de pouvoir échapper à certaines expositions. En effet un taux d’exposition supérieur à la normale pour les particules fines est observé sur 99 % de la planète. De même le Radon est présent en grande quantité dans certaines zones telles que la Bretagne, les Pyrénées et le Massif Central, et il est difficile dans ces situations d’y échapper.
Les recommandations que l’on peut faire est d’éviter de s’exposer trop à la pollution en consultant les relevés communiqués régulièrement sur les expositions à risque et d’avoir une alimentation saine. Il a également été montré que l’activité physique régulière avait un rôle de prévention par rapport à différents cancers.
En quoi le programme Impulsion est-il une avancée cruciale pour le dépistage ? Qui y a droit et où ?
Le programme Impulsion est un programme de dépistage du cancer du poumon au niveau national. Pour l’instant il s’adresse à des patients ayant des facteurs de risque, c’est-à-dire des anciens fumeurs ou fumeurs ayant un âge supérieur à 55 ans. C’est dans cette population que la probabilité est la plus élevée.
Néanmoins d’autres projets sont en cours pour cibler les femmes ou les patients plus jeunes. Pour l’instant, il sera développé dans différentes régions en France mais sera limité à 20 000 personnes. Nous attendrons bien sûr de pouvoir le développer plus amplement.
À SAVOIR
La campagne Femmes et cancer du poumon a été lancée en mars 2025 pour favoriser les diagnostics précoces et informer la population du risque, même chez les non-fumeurs. Cette campagne est portée par AstraZeneca France, en lien avec un comité scientifique et quatre associations de patients (ALK+ROS1 France Cancer Poumon, APOP Foch, De L’Air ! et Mon Réseau Cancer du Poumon).