En France, l’accès aux soins de santé est loin d’être uniforme. Environ 30 % de la population, soit près de 20 millions de personnes, vit dans des déserts médicaux, principalement situés en milieu rural. Ces territoires, où l’offre de soins est limitée, constatent une augmentation alarmante des décès liés au cancer, révélant des inégalités préoccupantes en matière de prise en charge. Une réalité mise en lumière pour la première fois par une étude.
Le manque de professionnels de santé dans les territoires qualifiés de déserts médicaux a des répercussions directes sur la mortalité par cancer. C’est ce que confirme une récente étude coordonnée entre l’Inserm et CHU de Caen, et publiée dans la revue Cancer.
La mortalité liée au cancer du foie est ainsi supérieure de 50 % chez les femmes et de 20 % chez les hommes vivant dans des zones sous-dotées. Pour le cancer du poumon, l’excès de mortalité atteint 9 % chez les hommes un an après le diagnostic dans ces territoires. Ces disparités sont le résultat d’un retard dans le diagnostic, de difficultés d’accès aux traitements et d’un suivi médical insuffisant.
Les causes d’une surmortalité évitable
Des retards de dépistage préoccupants
Dans les zones rurales, l’éloignement des centres de dépistage et le manque de médecins généralistes compliquent le diagnostic précoce des cancers. Les habitants doivent souvent parcourir des dizaines de kilomètres pour des examens essentiels, entraînant des retards parfois fatals.
De plus, un manque d’information sur l’importance du dépistage réduit la participation des patients aux programmes de prévention. Résultat : des cancers diagnostiqués à un stade avancé, où les chances de guérison sont considérablement réduites.
Un accès difficile aux traitements spécialisés
Après un diagnostic, les patients des déserts médicaux se heurtent à de nouveaux obstacles. L’accès aux traitements comme la radiothérapie ou la chimiothérapie nécessite souvent des déplacements fréquents vers des centres éloignés. Ce qui peut décourager les patients les plus fragiles, notamment les personnes âgées ou en situation de précarité.
Selon une étude de l’Institut national du cancer (INCa), les patients des zones rurales ont 20 % moins de chances de recevoir les traitements les plus adaptés à leur pathologie, comparés aux patients urbains.
Un suivi médical insuffisant
Le suivi post-traitement est crucial pour prévenir les récidives. Mais il est également affecté par la pénurie de professionnels dans les zones rurales.
Les délais pour obtenir un rendez-vous ou passer des examens de contrôle (scanner, IRM) sont souvent trop longs, privant les patients d’une prise en charge optimale.
Des inégalités territoriales de plus en plus marquées
Les disparités entre les zones rurales et urbaines ne cessent de croître. Si les grandes villes disposent d’une offre de soins abondante, les régions rurales peinent à attirer les professionnels de santé. Les infrastructures médicales spécialisées sont également concentrées dans les zones urbaines, laissant de larges portions du territoire en grande difficulté.
D’après un rapport du Sénat publié en 2023, la France compte environ 230 000 médecins, mais un tiers de la population vit dans un désert médical. Près de 9 millions de Français, dont 720 000 atteints d’une affection de longue durée (ALD), n’ont pas de médecin traitant.
Quelles solutions pour réduire ces inégalités ?
Attirer les professionnels de santé
Face à ce constat alarmant, des initiatives voient le jour pour améliorer l’accès aux soins dans les déserts médicaux. Pour encourager les professionnels à s’installer dans ces territoires, plusieurs mesures incitatives ont été développées.
- Des aides financières : les jeunes médecins peuvent bénéficier d’aides allant jusqu’à 50 000 euros, sous forme de primes d’installation, s’ils choisissent de pratiquer dans une zone sous-dotée. Ces aides s’accompagnent souvent d’exonérations fiscales durant les premières années d’exercice.
- Un contrat d’engagement de service public (CESP) : ce dispositif s’adresse principalement aux étudiants en médecine. En échange d’une bourse mensuelle pendant leurs études (environ 1 200 euros par mois), ils s’engagent à exercer dans une zone en tension pour une durée équivalente à celle du soutien financier reçu. Ce contrat séduit chaque année environ 800 étudiants, selon le Ministère de la Santé.
- La création de maisons de santé pluridisciplinaires : ces structures regroupent plusieurs professionnels (médecins, infirmiers, kinésithérapeutes…) pour mutualiser les ressources et offrir des conditions de travail attractives. En 2023, la France comptait environ 2 200 maisons de santé. Souvent situées dans des territoires éloignés. Ces structures facilitent l’exercice en équipe et réduisent l’isolement des praticiens.
Promouvoir la téléconsultation
La téléconsultation, qui permet aux patients de consulter un médecin à distance via des outils numériques, a connu une croissance exponentielle, avec 20 millions de consultations réalisées en 2023. Ce dispositif est particulièrement adapté aux zones rurales, où l’éloignement des praticiens constitue un obstacle majeur.
- Réduction des déplacements : les patients, notamment les personnes âgées ou à mobilité réduite, n’ont plus besoin de parcourir de longues distances pour consulter un professionnel.
- Réduction des délais d’attente : les consultations à distance désengorgent les cabinets physiques et permettent un suivi plus rapide.
Cependant, le développement de la téléconsultation reste freiné par plusieurs obstacles :
- Problèmes de connectivité : Une grande partie des zones rurales souffre encore de zones blanches, où l’accès à Internet est limité ou inexistant.
- Méconnaissance des outils numériques : De nombreux patients, notamment les plus âgés, ne maîtrisent pas suffisamment les outils technologiques pour bénéficier pleinement de ces services.
Pour pallier ces limites, des efforts sont menés pour développer le réseau internet dans les territoires ruraux grâce au Plan France Très Haut Débit, et pour former les patients et les professionnels à l’utilisation des outils numériques.
Renforcer le dépistage mobile
Les campagnes de dépistage mobile représentent une avancée majeure pour réduire les inégalités dans les zones rurales. Ces dispositifs, sous forme de camions équipés, permettent de proposer des examens comme les mammographies, les coloscopies ou encore des tests de dépistage du cancer de la peau directement au cœur des territoires isolés.
Selon l’Institut national du cancer (INCa), ces initiatives ont permis d’augmenter la participation au dépistage de 15 à 20 % dans les zones rurales. Ces résultats sont essentiels, car un dépistage précoce améliore significativement les chances de guérison.
Les dépistages mobiles sont particulièrement utiles pour :
- Toucher les populations éloignées des centres de santé.
- Éliminer les freins liés au coût et au déplacement.
- Renforcer la sensibilisation sur l’importance du dépistage.
Ces campagnes nécessitent néanmoins des moyens humains et financiers conséquents pour être déployées à plus grande échelle.
Sensibiliser les populations rurales
Dans les zones rurales, un manque d’information sur l’importance du dépistage et de la prévention demeure. Pour y remédier, des campagnes de sensibilisation ciblées sont nécessaires.
- Des journées de prévention et dépistages gratuits organisés par les collectivités locales et les agences régionales de santé (ARS).
- Une implication des médecins généralistes. Les professionnels de santé jouent un rôle crucial dans l’éducation des patients sur les bénéfices d’un dépistage précoce.
- Des supports adaptés. Des flyers, réunions d’information et campagnes sur les radios locales permettent de toucher un public plus large, y compris les populations les plus isolées.
Ces actions doivent s’accompagner d’un effort constant pour instaurer un climat de confiance et lever les freins psychologiques au dépistage, comme la peur du diagnostic ou le tabou autour de certains cancers.
À SAVOIR
La question de l’accès inégal aux soins a émergé bien avant que l’expression « déserts médicaux » ne devienne d’usage courant. Les déserts médicaux, bien qu’évoqués dans le débat public depuis les années 2000, trouvent leurs origines dans les années 1970. Période où les premières réflexions sur les inégalités d’accès aux soins ont émergé. L’instauration du numerus clausus (quota fixe d’étudiants accepté en deuxième année de médecine) en 1971, combinée à l’urbanisation croissante des Trente Glorieuses, a favorisé la concentration des médecins en ville. Ces disparités se sont aggravées dès les années 1990, avec le vieillissement des praticiens et la baisse des installations en milieu rural.