
On parle de chimiothérapie, de chirurgie, de fatigue, mais rarement de cette douleur intérieure qui ronge en silence : la dépression réactionnelle. Chez de nombreux patients atteints de cancer, elle s’installe après le diagnostic ou pendant les traitements. Trop souvent considérée comme “normale”, elle influence pourtant directement la récupération, l’efficacité des soins et la qualité de vie. En France, la prise en charge progresse, mais reste inégale.
Il y a d’abord le choc du diagnostic. Les mots “vous avez un cancer”, qui résonnent comme un coup de tonnerre. Puis viennent les traitements, la peur, la douleur, l’incertitude.
Face à cet ouragan, il est courant de voir surgir une profonde tristesse, une fatigue morale, parfois une perte de goût à tout. Ce n’est pas une faiblesse, ni un caprice, c’est ce qu’on appelle la dépression réactionnelle. Une réponse psychologique à un événement traumatique, en l’occurrence la maladie.
Selon Santé publique France, il s’agit d’une réaction d’adaptation à une situation perçue comme insurmontable. En oncologie, ce type de dépression touche une proportion importante de patients, mais reste encore sous-diagnostiqué. L’Institut national du cancer (INCa) rappelle que les troubles anxieux et dépressifs font partie des “soins oncologiques de support” et qu’ils doivent être pris en compte au même titre que la douleur ou la nutrition. Dans la réalité, ce soutien n’est pas toujours accessible à temps.
La dépression réactionnelle : l’autre bataille du cancer
Quand le moral devient un facteur médical
D’après la grande cohorte française CANTO, menée auprès de près de 5 000 femmes atteintes d’un cancer du sein, près d’un tiers d’entre elles ont présenté des symptômes dépressifs significatifs dans les trois ans suivant leur diagnostic. Ces troubles apparaissent le plus souvent pendant les traitements actifs, quand le corps et l’esprit sont mis à rude épreuve. La fatigue, les séquelles physiques, les modifications corporelles et la crainte de récidive en sont des déclencheurs majeurs.
Les chercheurs de l’hôpital Gustave-Roussy, à Villejuif, ont mis en évidence plusieurs facteurs de vulnérabilité :
- un âge avancé,
- un indice de masse corporelle élevé,
- un faible niveau socio-économique,
- des antécédents psychologiques,
- la présence d’une anxiété préexistante.
Ces éléments favorisent l’installation d’une dépression réactionnelle, qui, si elle n’est pas repérée, peut évoluer vers une dépression clinique durable. Mais au-delà de la souffrance morale, cette détresse a des conséquences très concrètes sur la santé physique.
Une étude américaine récente, relayée par Fréquence Médicale, a montré que les patients atteints de cancer souffrant de dépression, traitée ou non, présentaient plus de complications après chirurgie, plus de réadmissions et des séjours hospitaliers plus longs.
À l’inverse, ceux bénéficiant d’un suivi psychologique ou d’un traitement antidépresseur présentaient de meilleurs taux de récupération et de survie.
Dépression : une souffrance silencieuse, souvent minimisée
La difficulté majeure, c’est que cette souffrance se confond avec les effets du cancer lui-même. Fatigue, perte d’appétit, troubles du sommeil… Autant de symptômes communs à la dépression et à la maladie. Les médecins eux-mêmes reconnaissent qu’il est parfois difficile de faire la part des choses. Alors, de nombreux patients passent “sous les radars”.
Et il y a aussi la honte, le tabou. Beaucoup hésitent à dire qu’ils vont mal moralement. Certains ne veulent pas se plaindre. D’autres redoutent d’ajouter un diagnostic de “malade mental” à celui, déjà lourd, de “malade du cancer”. Une double peine psychologique, qui retarde l’accès à l’aide.
Pourtant, la dépression réactionnelle n’est pas une pathologie psychiatrique à proprement parler. C’est une réponse humaine à un choc inhumain. Mais sans accompagnement, elle peut se transformer en véritable trouble dépressif. D’où l’importance d’un repérage systématique, notamment lors du “dispositif d’annonce” du cancer. Cette étape est prévue par le Plan cancer et doit offrir un temps d’écoute et d’évaluation psychologique dès le diagnostic.
Cancer et dépression réactionnelle : soigner le corps et l’esprit à la fois
Dans les grands centres de lutte contre le cancer, la psycho-oncologie s’impose peu à peu comme une composante essentielle du parcours de soins. Les psychologues, psychiatres et infirmiers formés à l’écoute interviennent dès le diagnostic, puis tout au long du traitement. Des thérapies brèves, comme la TCC (thérapie cognitivo-comportementale), permettent d’apprendre à gérer la peur, la culpabilité et le stress.
D’autres approches comme le soutien de groupe, la méditation, l’activité physique adaptée ou la socio-esthétique, contribuent à restaurer l’image de soi et à rompre l’isolement. Les traitements médicamenteux, eux, ne sont envisagés que lorsque la dépression devient sévère ou persistante.
Selon l’étude présentée à l’American College of Surgeons (2025), les patients dépressifs opérés et traités par antidépresseurs présentaient de meilleurs taux de récupération et moins de complications que ceux laissés sans traitement. Une donnée qui souligne l’importance de reconnaître la santé mentale comme un déterminant médical, et non comme un simple accompagnement.
Dépression réactionnelle : un enjeu de santé publique encore sous-estimé
Les plans cancer successifs ont ouvert la voie, mais la réalité reste contrastée. L’accès à un psychologue varie d’un hôpital à l’autre, parfois même d’un service à l’autre. Selon Mutualistes.com, entre 25 % et 50 % des patients atteints de cancer développeraient un trouble psychologique significatif, sans toujours bénéficier d’un accompagnement adapté.
Les associations, comme la Fondation ARC, tentent de combler le vide avec des guides gratuits et des numéros d’écoute, mais les besoins restent énormes.
Reconnaître cette détresse, c’est donc repenser la manière dont on soigne. La dépression réactionnelle ne doit plus être un “effet secondaire” du cancer, mais un élément central du parcours thérapeutique. Car un patient soutenu psychologiquement est un patient qui récupère mieux, qui adhère mieux à son traitement, et qui a davantage de chances de guérir.
À SAVOIR
Dans l’étude menée à Gustave-Roussy sur la cohorte CANTO (9 087 patientes atteintes d’un cancer du sein suivies pendant 6 ans), 7 % des femmes présentaient déjà des troubles dépressifs au moment du diagnostic, tandis que 20 % en ont développé pendant la phase de traitement ou au cours du suivi, alors qu’elles n’avaient pas de symptômes auparavant.







