La région lyonnaise, et notamment le sud de l’agglomération, est secouée depuis plusieurs années par un nouveau scandale sanitaire : celui d’une pollution massive aux PFAS, ou perfluorés. Le 26 mai 2024 s’est ouvert le procès opposant le Grand Lyon aux entreprises Daikin et Arkema, deux usines accusées d’être responsables des rejets de ces polluants. La présence de substances chimiques avait été détectée en 2021 dans des œufs de poules élevées en plein air, dans les communes de Oullins et de Pierre-Bénite, où sont implantés ces sites industriels. Alors que la pollution a également gagné le réseau d’eau potable, où en est-on exactement aujourd’hui ? Quels sont les réactions des pouvoirs publics ? Et qu’en est-il réellement des effets des Pfas sur la santé des habitants ? Le point.
Les substances perfluorées, ou PFAS, sont des polluants persistants extrêmement résistants dans l’environnement, que ce soit dans les eaux, les sols ou l’air. Utiles pour leurs propriétés hydrofuges et anti-graisses, des taux trop élevés de ces polluants peuvent causer de graves problèmes de santé. Il y a deux ans, une pollution inquiétante de ces perfluorés dans les eaux potables de plus de 37 000 habitants était révélée. Depuis les révélations de ce scandale, où en est-on aujourd’hui ?
2022 : des révélations et une extension de la contamination
Une enquête de l’émission “Vert de rage” de France 5 révèle en 2022 que les usines Arkema et Daikin seraient à l’origine d’une contamination. Les habitants du sud de Lyon découvrent alors l’existence de ces PFAS. De premières recommandations sont émises en janvier 2023 concernant la consommation des oeufs de poules élevées en plein air sur plusieurs communes : Pierre-Bénite, Oullins, Saint-Genis-Laval et Irigny. Un périmètre bientôt élargi à de nombreuses autres communes limitrophes.
Rapidement se fait jour une autre contamination probable, celle du réseau d’au potable de plusieurs communes du sud et de l’ouest lyonnais, et ce depuis des années, avec des concentrations de PFAS pouvant se situer jusqu’à 1 800 fois au dessus des réglementations. Dès la fin 2022, suite à différents contrôles, un arrêté préfectoral fixait déjà une limite de 0,10 μg par litre d’eau potable (μg = taux cumulés en microgrammes par kilogramme).
La contamination s’étend alors à une trentaine de communes et arrondissements de Lyon, en plus des quatre initialement concernées : Givors, Solaize, Grigny et Marcy-L’Etoile.
2023 : une mobilisation et des actions entreprises
Dès janvier 2023, donc, l’Agence Régionale de Santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes recommande par précaution de ne pas consommer œufs, volailles et produits de la pêche dans 18 communes au sud de Lyon. En parallèle, Eau publique du Grand Lyon réalise à cette époque plus de 350 contrôles sur l’ensemble du réseau. Une opération plutôt rassurante, puisqu’elle confirme que 97% des habitants de la région lyonnaise reçoivent une eau totalement conforme. Ce qui n’est pas le cas, donc, des quatre communes de Givors, Solaize, Grigny et Marcy-L’Etoile, soit 37 000 habitants.
Toujours en 2023, 34 communes du Rhône et une dizaine d’associations portent plainte contre les usines Arkema et Daikin pour diverses infractions liées à la pollution.
Dans le même temps, un plan d’action ambitieux est présenté par le Grand Lyon et le Syndicat Rhône-Sud pour remédier à la situation, avec notamment la mise en place d’une nouvelle filière de traitement des PFAS ou encore la connexion à des réseaux jugés conformes. L’objectif est de rétablir la conformité de l’eau d’ici 2026.
« La priorité absolue, c’est que les rejets cessent. Il est urgent que le droit de l’environnement soit appliqué, notamment le principe de précaution et de prévention », défend Emma Feyeux, membre de l’association « Notre Affaire à Tous ». Cette ONG, fondée en 2015 par la militante écologiste et avocate Marie Toussaint, désormais députée, se bat depuis des années contre la pollution émise par les deux usines de la Vallée de la chimie.
« Un moratoire sur la production des PFAS est également crucial pour interdire leur utilisation. Pour plus de 90 % des usages de perfluorés, il existe des alternatives. Il faut que nous ayons une réglementation globale pour protéger la santé des travailleurs et des riverains de ces usines, ainsi que des consommateurs de manière plus générale. » souligne la responsable de projets inégalités et santé environnementale pour l’association.
2024 : où en est-on aujourd’hui ?
Aujourd’hui, plus de 110 communes et 3 départements, soit plus de 160 000 habitants, seraient aujourd’hui concernés par la contamination aux perfluorés.
La lutte contre cette pollution environnementale et sanitaire majeure se poursuit, avec des actions en justice et des efforts importants pour décontaminer l’eau et protéger la santé des populations.
Le 26 mai dernier, plus de 600 manifestants se sont mobilisés à Pierre-Bénite, à quelques pas des deux usines impliquées, pour dénoncer la pollution aux PFAS. Le 28 mai, un procès s’est ouvert opposant la Métropole de Lyon aux deux géants de la chimie, Arkema et Daikin. Dans ce bras de fer juridique, le Grand Lyon souhaite mettre en lumière l’étendue et les conséquences de cette pollution massive.
Preuve que le sujet interpelle au plus haut sommet de l’État, le Sénat a adopté le 30 mai une proposition de loi visant à interdire progressivement les PFAS en France, où d’autres territoires ont fait état de la même problématique (lire À SAVOIR). Le texte prévoit l’interdiction progressive de certains produits, des mesures de contrôle renforcées et l’imposition de redevances sur les émissions industrielles de ces polluants éternels.
« Ces derniers temps, les choses bougent un peu plus. Des plaintes ont été déposées par les maires, les associations, les fournisseurs d’eau, la Métropole et des particuliers. Des perquisitions ont également été menées par deux juges d’instruction chez Arkema. Ce que l’on attend maintenant, ce sont des résultats concrets. », explique Thierry Mounib, président de l’association “Bien vivre à Pierre-Bénite”.
Des propos qui témoignent des inquiétudes légitimes de la population riveraine quant aux répercussions sur leur santé. « Tous les médecins que j’ai rencontrés sont curieux lorsque je leur expose le problème. Certains sont sceptiques, mais tous, surtout, manquent d’informations », révèle Thierry Mounib. C’est sans doute en raison de cette méconnaissance de l’impact de ces perfluorés que la plupart des médecins généralistes contactés par la rédaction n’ont pas souhaité donner suite. « La difficulté de parler des PFAS réside dans le fait qu’ils sont très nombreux et présentent des caractéristiques différentes », dévoile le Dr Julien Biaudet, chercheur au centre de lutte contre le cancer Léon-Bérard, à Lyon. « Aujourd’hui, le Centre International de Recherche sur le Cancer a bien classé deux types de PFAS : le PFOA (groupe 1), reconnu comme cancérigène pour l’humain, et le PFOS (groupe 2), potentiellement cancérigène pour l’humain ».
Retrouvez ici notre sujet sur les effets des PFAS sur la santé et sur les moyens de s’en prémunir.
À SAVOIR
Outre Lyon, d’autres secteurs de la région Auvergne-Rhône-Alpes sont touchés par des contaminations aux PFAS. À Annecy, des investigations sont ainsi en cours suite à la découverte de dépassements des normes de sécurité dans trois puits d’eau potable. Le Grand Annecy a suspendu leur utilisation et cherche à identifier les sources de pollution.