Dans les couloirs des hôpitaux français, les soignants ont de plus en plus de mal à cacher leur mal-être.
Épuisés et désabusés, les soignants à l'hôpital sont de plus en plus nombreux à concrétiser leurs envies de départ, particulièrement dans le secteur public, qui peine à conserver ses infirmiers et ses aides-soignants. ©Freepik

Exacerbé par la crise sanitaire, le phénomène de pénurie de soignants atteint une dimension “cataclysmique” dans nos hôpitaux. Entre ras-le-bol et épuisement des équipes, cette lame de fond touche de plein fouet le personnel paramédical, confronté à des coupes sombres inégalées dans les rangs des infirmiers et des aides-soignants, cœur battant du parcours de soin. Le modèle hospitalier français est à bout de souffle et pose la question des conséquences inévitables sur la qualité de la prise en charge future des patients.

Hôpital de Clermont-Ferrand, lundi 13 septembre. Un appel à la grève résonne au sein du service de cardiologie, pour dénoncer “le manque d’effectifs et les conditions de travail”. Ce cri d’alarme n’est ni une première pour le CHU clermontois, ni un cas isolé. Le monde hospitalier souffre d’un mal récurrent, que la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a exacerbé dans des proportions inégalées jusqu’alors.

« Nous faisons face à une crise majeure », concède sans détours Bruno Masson, le président de la Fédération Hospitalière Privée Auvergne-Rhône-Alpes. « Ce que l’on rencontre depuis cet été est inédit. Avec des répercussions non seulement sur la gestion de nos établissements, mais aussi sur la santé publique. C’est le cas dans notre région, mais la problématique concerne la France entière. C’est cataclysmique ».

10% des postes sont vacants à l’hôpital

La cause de cet état de crise est bien connue : le manque cruel de moyens humains, qui ne cesse de s’amplifier de manière exponentielle. Tous secteurs confondus (public, privé non lucratif et privé), l’hôpital français s’appuie sur 354 000 infirmiers et 287 000 aides-soignants. Mais « 10% de ces postes sont vacants, hors pyramide des âges », livre Bruno Masson, qui confirme l’estimation des besoins à 100 000 emplois par an dans le pays.

Les tensions ne sont pas neuves. Mais la crise Covid a mobilisé comme jamais des équipes hospitalières déjà amoindries, accentuant les problématiques d’épuisement et de ras-le-bol chez les praticiens, qu’il s’agisse des médecins et, surtout, des infirmiers et aides-soignants. La fuite des talents s’est accélérée, faisant reporter la charge de travail sur les épaules de ceux qui restent.

Ce cercle vicieux a en outre été alimenté par un mécanisme, celui de l’appel au volontariat des soignants médicaux et paramédicaux vers les centres de dépistage Covid, puis les centres de vaccination. « Cela a totalement asséché les possibilités de remplacements. Une infirmière pouvait en effet gagner trois à quatre fois plus par mois. Tout en choisissant ses horaires, en évitant de travailler la nuit et le week-end… Nous avons tous été pris de court et aucun établissement n’a pu anticiper un tel siphonage des ressources. Tout le monde pouvait comprendre la nécessité de la vaccination, mais fallait-il créer une telle distorsion ? », dénonce Bruno Masson.

Les écoles d’infirmières sonnent creux

La réduction progressive des capacités vaccinales va atténuer le phénomène. « Le choix, aujourd’hui, est pour l’instant de ne pas fermer les centres de vaccination. Ils seraient en effet trop compliqués à rouvrir. On commence donc par diminuer leurs capacités », confirme Raymond Le Moign. Directement confronté à cette pénurie massive, le directeur général des Hospices Civils de Lyon se veut confiant. « Nous avons une centaine de postes vacants » dans les hôpitaux publics lyonnais, avec des besoins criants dans certaines spécialités (infirmiers de bloc, anesthésistes ou en soins critiques, surtout). « Il nous faut tenir six mois. Entre ceux qui étaient en vaccination et ceux en disponibilité, nous avons un réservoir qui va revenir. Et la campagne de recrutement que nous avons lancée a permis à la situation de ne pas se dégrader ».

Les métiers d'infirmiers n'attirent plus.
Le métier d’infirmier ne fait plus rêver les jeunes. ©Freepik

Le problème, c’est que les métiers d’infirmiers et d’aides-soignants n’attirent plus. Et ce de manière structurelle. « C’est un phénomène nouveau, qu’il faut entendre, y compris à la sortie des écoles », reconnait Raymond Le Moign. Face à cette attractivité en berne, l’ouverture de 6000 places supplémentaires (dont 360 en Auvergne-Rhône-Alpes) dans les écoles d’infirmières, les IFSI (Institut de Formation de Soins Infirmiers), n’a pas comblé les vides. « C’est un petit robinet, alors que l’on a besoin d’un afflux massif », note Maryse Bastin-Joubard, directrice générale d’Ocellia, centre lyonnais de formations vers les métiers médico-sociaux, y compris ceux d’aide-soignant et d’infirmier.

« La sélection a été modifiée à l’entrée, mais le risque est que les personnes formées n’exercent pas. Une étude dans une école infirmière lyonnaise a montré que 20% des promotions annonçaient ne pas vouloir exercer en fin de formation ! », révèle Bruno Masson. Même constat du côté des aides-soignants, où les candidats se font de plus en plus rares.

Les conditions de travail à l’hôpital sont « de pire en pire »

En cause, la dureté de métiers aux conditions d’exercice difficiles. Les revalorisations salariales du Ségur de la Santé n’ont pas tout réglé, loin de là. « Travailler pour le bien des patients, c’est quelque chose d’attrayant et de très motivant. Cela rend fier. Mais on prend conscience au fil des ans que cela ne va pas être tout rose », témoigne une infirmière du Centre Hospitalier de Chambéry, qui préfère rester anonyme. Son implication, comme ses compétences, sont louées par sa hiérarchie. Mais la jeune femme, tout juste trentenaire, préfère jeter l’éponge, « à cause de mes conditions de travail. Ces plannings que l’on connaît d’un mois sur l’autre, les semaines à six jours, l’alternance du travail de jour et de nuit, les heures supplémentaires qui ne sont pas payées, le travail comme aide-soignante dans d’autres services, la culpabilité qu’on nous fait ressentir quand on refuse… Ce sont des choses que l’on accepte, au début, mais cela n’évolue pas dans le bon sens. C’est de pire en pire, et ceux qui restent doivent faire encore plus », détaille-t-elle.

Le cas de cette infirmière savoyarde, qui rejoint le privé en espérant « de meilleures conditions », est loin d’être isolé. « Je ne suis pas la seule dans ce cas. On pourrait faire le tour de mon service et recueillir le même sentiment. J’ai des collègues qui sont là depuis un an et qui en ont déjà ras-le-bol ». Reste que l’herbe, dans le privé, n’est pas forcément plus verte et Bruno Masson, le président de la FHP Auvergne-Rhône-Alpes, confirme aussi « ce désengagement vers d’autres secteurs périphériques comme les laboratoires ou le monde libéral ».

Un impact sur la prise en charge des patients à l’hôpital ?

« Ces départs importants de personnels paramédicaux mettent forcément en difficulté l’hôpital », révèle un médecin expérimenté des Hospices Civils de Lyon. « C’est particulièrement compliqué en gériatrie, en réa et en soins intensifs. Ce sont des services où il y a pas mal de postes vacants, notamment de nuit. Mais le métier, avec des salaires plutôt bas et des horaires pénibles, n’intéresse plus les jeunes ».

Ces difficultés mettent-elles déjà en péril la qualité des soins délivrés ? Ce fut le cas durant la crise Covid, qui s’est soldée par d’importants retards de soins et une dégradation de l’état de santé de la population. Mais cet impact sur la prise en charge des patients peut devenir profond et pérenne, sans prise de conscience. « Le Ministère de la Santé commence à mesurer l’importance de l’enjeu. Il y a des défis collectifs à relever pour apporter des solutions par territoires », note Bruno Masson, qui pointe aussi « la nécessité d’une refonte complète du système pour renforcer l’attractivité des métiers, améliorer la formation, faciliter l’efficience de la VAE… »

Offre de soins : réduire les capacités plutôt que la qualité

En attendant, l’hôpital a de plus en plus de mal à assurer ses fonctions. « 25 à 30% de l’offre de soins est impactée par le manque de personnel, avec à la clé la fermeture de nombreux services », constate Bruno Masson, qui est aussi le directeur général de la Clinique Trenel, à Sainte-Colombe (Rhône). « Nous sommes contraints à des aménagements, et la problématique, aujourd’hui, porte plus sur la réduction des capacités hospitalières que sur celle de la qualité de la prise en charge ». L’idée : adapter la jauge hospitalière à la taille des effectifs, pour que les soignants présents soient en mesure d’assurer une qualité de soins préservée.

Mais ces réductions capacitaires, passé un seuil critique, ne risquent-elles pas aussi d’avoir des conséquences directes sur la santé des patients ? Cet été, le SMUR de Voiron (service mobile d’urgence et de réanimation), en Isère, a ainsi cessé d’être opérationnel durant cinq jours, faute de personnel. Les Smur voisins ont pris la relève, mais l’exemple interpelle. « Nous sommes alertés par les services d’urgence du territoire grenoblois qui font face à une tension extrême et il semble que la situation soit identique dans l’ensemble du département », a dénoncé par courrier le Conseil départemental de l’Isère de l’ordre des médecins.

« Si le personnel est épuisé, c’est le patient qui trinque »

La criose couve à l'hôpital public, où les soignants n'en peuvent plus.
La crainte ? Que l’épuisement des soignants fasse d’inévitables dégâts sur les patients. ©Freepik

Ces solutions provisoires de réorganisation ressemblent bel et bien à des pansements sur de trop lourdes fractures. Sans renforts, l’abnégation des paramédicaux encore en poste compensera-t-elle longtemps leur épuisement physique et moral ? « Les conséquences de tout ça, c’est qu’il risque d’y avoir de plus en plus d’erreurs. Car si le personnel est épuisé, c’est le patient qui trinque », lâche l’infirmière chambérienne. « Les remplacements sont difficiles. Nombre de soignants s’en vont et ce n’est pas normal. Plus la base est friable, plus l’équilibre est instable. D’autres, sur lesquels on compte beaucoup du fait d’une ancienneté relative et de plus en plus rare, réussissent pour l’instant à tenir. Mais je ne serais pas étonné qu’ils finissent par partir à leur tour », prévient le Dr Arthur Dony, médecin au CH de Chambéry.

« L’hôpital public, une machine fantastique, mais qui n’est pas très agile »

Au bord de la rupture, l’hôpital a-t-il la capacité à surmonter cette crise majeure? Certains soignants veulent y croire. « Oui, certains services, comme la gériatrie, sont mal lotis et souffrent en ce moment. Oui, le travail y est dur et ingrat, pas très bien reconnu et valorisé, avec des salaires peu élevés. Et oui, ce sont des choses qui doivent changer. Mais il ne faut pas verser dans le catastrophisme, car cette pénurie ne concerne pas tout l’hôpital », tempère le Dr Emmanuel Perrot, parti… dans le privé après plus de 20 ans à l’hôpital public, des Urgences à l’unité de prise en charge des détenus hospitalisés au CH Lyon-Sud. « Attention, je ne suis pas parti par dégoût. Mais pour développer un projet que je ne pouvais pas réaliser dans le secteur public. L’hôpital public, dont je pense plutôt du bien, est une machine fantastique, qui sait tout faire, mais qui n’est pas très agile ».

Cette faculté plus ou moins habile à s’adapter constamment aux lacunes présente en effet ses limites. L’hôpital public, où l’administratif à outrance et la décentralisation des responsabilités nuit de plus en plus à l’efficacité des équipes, a besoin d’être secoué. De l’intérieur comme de l’extérieur. La refonte de son fonctionnement, et plus globalement celui du système hospitalier français, paraît inéluctable. La balle, en l’occurrence, est dans le camp des politiques, comme souvent. Et cela tombe bien, il y a des élections qui comptent, dans quelques mois…

À SAVOIR

Selon le dernier rapport de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), publié le 29 septembre 2021, le secteur hospitalier en France se compose de 1342 hôpitaux publics, 667 établissements privés à but non lucratif et 974 cliniques privées à fin 2020. 25 établissements ont fermé leurs portes en 2020 dans le cadre de restructuration de l’offre de soin. Principal constat, la capacité hospitalière se réduit, avec 1,5% de lits d’hospitalisation complète en moins à l’échelle nationale. Une baisse aujourd’hui compensée par l’essor de la prise en charge ambulatoire.

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Journaliste expert santé / Rédacteur en chef adjoint du Groupe Ma Santé. Journaliste depuis 25 ans, Philippe Frieh a évolué dans la presse quotidienne régionale avant de rejoindre la presse magazine pour mettre son savoir-faire éditorial au service de l'un de ses domaines de prédilection, la santé, forme et bien-être. Très attaché à la rigueur éditoriale, à la pertinence de l'investigation et au respect de la langue française, il façonne des écrits aux vertus résolument préventives et pédagogiques, accessibles à tous les lecteurs.

7 Commentaires

  1. Allez continuez les gens à nous cracher dessus. Qui vous soignera puisque vous n’avez jamais défendu les petits soldats de système de santé qui vous était un dû ???
    Cela fait 30 ans au moins qu’on hurle que tout va mal et jusqu’à il y a peu, avant la menace de la suspension pour non injection anti covid, c’est la lacrymo qu’on prenait dans les yeux et les coups dans les dents, dans l’indifférence la plus totale.

    Réjouissez vous, vous avez enfin l’hôpital à la hauteur de votre mérite.

    • ça fait 30 ans que vous ne faites que hurler , mais que vous avez continué à travailler , vous avez collaboré pour assassiner les vieux , aujourd’hui c’est vous qui êtes pris à la gorge et cette fois vous agissez , mais c’est parce que vous n’avez plus le choix , soit vous vous faites vacciner , soit vous êtes viré tout comme ceux du privé , il est bien tard pour pleurer , toute fois , je continu à vous soutenir , mais vous auriez du agir il y a bien longtemps ? Désolé pour vous ? Cdt !

      • ” collaboré pour assassiné les vieux ” ??????? Mais vous vous rendez compte de ce que vous dîtes ?
        Et vous qu avez vous fait à part nous insulter , car un soutien tel que le vôtre, on peut s en passer.
        Quand nous faisons grève, nous sommes réquisitionnés. Et vous avez raison sur un point, c est que heureusement pour les patients nous avons une conscience professionnelle . Les autorités ont joué là dessus en se disant qu on allait bien faire le boulot malgré tout.
        Mais le soutien des patients ou est – il?? Tant que le boulot est fait, applaudir sur les balcons ne suffit pas.

  2. 2020 Applaudis
    2021 Suspendus
    les héros d’hier sont fatigués et en colère.
    Cela va faire bizarre également à tous ces jeunes diplômés qui ont été recruté à prix d’or pour vacciner à tour de bras quand il vont voir ce que gagne vraiment nos professions. Et puis il faut espérer que tous les suspendus reviennent car certains se sont déjà réorienté.
    Le gouvernement a peut être achevé notre système de santé avec cette vaccination obligatoire qui nous a divisé comme jamais.

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