Alors que la santé mentale des Français continue de se dégrader, les spécialistes chargés de prévenir et de soigner les troubles associés sont loin d’être assez nombreux pour répondre aux besoins de la population. La psychiatrie n’attire pas les futurs médecins, au grand dam du Pr Nicolas Franck. Le médecin lyonnais, chef de service au Vinatier, a profité de son passage sur le plateau de l’émission Votre Santé pour vanter les mérites d’une spécialité méconnue et injustement boudée, en marge des toutes premières Nuits de la Psychiatries qui ont été organisées le 1er février dans sept villes universitaires françaises, dont Lyon et Grenoble, pour booster l’attractivité de la discipline.
Le moral des Français n’a jamais été aussi bas qu’en ce XXIème siècle anxiogène et alarmiste… Nourrie par une foule d’informations négatives, entre réchauffement climatique, terrorisme ou pandémies, notre santé mentale se dégrade, et ce n’est pas la crise sanitaire qui est venue inverser la tendance.
Les études confirment qu’une personne sur cinq a un trouble de santé mentale à un moment donné dans sa vie. Et que 50% de la population avait vécu de près ou de loin un trouble anxieux ou dépressif pendant le confinement de 2020…
Pour soigner le mal de notre siècle, nous n’avons donc jamais eu autant besoin de spécialistes : les fameux psychiatres. Pourtant, la discipline a toujours eu du mal à attirer les étudiants en médecine, ce que déplore le Pr Nicolas Franck. Invité de l’émission Votre Santé, le mardi 28 janvier sur le plateau de BFM TV Lyon, le chef de pôle psychiatrie du Vinatier, à Lyon, a rappelé toute la noblesse de cette spécialité et le cursus à suivre pour embrasser la profession de psychiatre.
À Lyon, un évènement inédit voit d’ailleurs le jour cette année pour susciter des vocations : les premières nuits de la psychiatrie, qui se déroulent le vendredi 31 janvier à la faculté de l’Hôpital Lyon-Sud (lire À SAVOIR) : “Des psychiatres, des enseignants de psychiatrie et des internes en psychiatrie viennent s’adresser aux étudiants en médecines pour leur donner des éléments en faveur du soin de la psychiatrie”.
“La psychiatrie est une spécialité mal connue”
Pourquoi a-t-on autant besoin de promouvoir la psychiatrie ?
Cette spécialité est mal connue. Ce n’est pas forcément la première choisie à la fin du second cycle de médecine alors que c’est une spécialité très belle et très riche.
La psychiatrie ne fait pas rêver parce que les troubles psychiatriques sont encore tabous. Ils sont associés à des représentations négatives, c’est ce qu’on appelle la stigmatisation. Ces représentations sont complètements fausses mais elles font peur et c‘est pour cela qu’on choisit rarement la psychiatrie.
Or la psychiatrie ce n’est pas du tout ça. C’est s’adresser à l’humain, mieux comprendre la personne avec ses difficultés et favoriser son bien-être. C’est comprendre les troubles du cerveau, les maladies génétiques et celles qui touchent le fonctionnement ou la structure du cerveau. C’est extrêmement riche.
Quelle est la durée des études en psychiatrie ?
La psychiatrie est une spécialité que l’on choisit à la fin du second cycle d’études de médecine. Les étudiants font six ans d’études communes, puis ils passent un examen de classement national. Quand ils entrent en psychiatrie, ils ont cinq nouvelles années de formation pour se spécialiser. Une première phase “socle” de deux ans où ils apprennent les bases. À l’issue de ces deux ans, ils choisissent la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent ou la psychiatrie de l’adulte, en poursuivant avec deux années d’approfondissement. Puis ils ont un an de phase de consolidation. Au bout de cinq ans, ils sont psychiatres. Ce qui correspond à onze ans d’études de médecine en tout.
Il y a des spécialités dans la spécialité, comme sur le burn-out ou la schizophrénie ?
Certains psychiatres se spécialisent autour de troubles particuliers, mais la grande spécialité reste la psychiatrie de l’enfant, l’adolescent et l’adulte. Certains se spécialisent dans la psychiatrie de la personne âgée, ou dans la psychiatrie périnatale. D’autres vont se spécialiser dans la maladie d’Alzheimer, dans les troubles anxieux…
“La psychiatrie est une spécialité très humaine”
Comment attirer les étudiants vers la psychiatrie ?
On ne peut pas s’en remettre au bouche à oreilles, qui n’est pas très favorable. La psychiatrie est encore taboue pour la population, qui n’a pas conscience que la santé mentale concerne tout le monde, que c’est une dimension de notre santé. Ceux qui choisissent la psychiatrie sont des personnes qui ont une curiosité marquée et un véritable intérêt. Il faudrait que les étudiants qui n’ont pas eu la chance d’être externe en psychiatrie puissent vérifier si c’est un choix qui pourrait leur convenir. C’est une spécialité très humaine.
Quelles sont les différences avec les autres spécialités, comme psychologue ou psychothérapeute ?
La seule spécialité médicale est la psychiatrie. Les psychologues suivent un cursus en fac de psychologie. Ils ne sont pas psychiatres, ils ne sont pas médecins, ils ne s’occupent pas du diagnostic ni de la prescription médicamenteuse, ni de l’organisation des soins. Les psychothérapeutes peuvent être des psychologies qui ont suivi une formation spécifique. Les psychiatres peuvent également être psychothérapeutes, ce sont les seuls qui peuvent poser le diagnostic et prescrire des médicaments.
Santé mentale : une prise de conscience collective
2025 a été décrétée année de la santé mentale, une bonne chose ?
Le problème de santé mentale a toujours existé, il suffit de regarder les chiffres. Même si l’on n’a pas de trouble caractérisé, il est important de prendre soin de sa santé mentale. Les déterminants sont les mêmes pour ceux qui n’ont pas de troubles, ceux qui ont un trouble courant et ceux qui ont un trouble sévère.
On assiste à une véritable mise en lumière, avec une prise de conscience de la population qui commence à parler de sa santé mentale, ce qui n’existait pas avant. Mettre la lumière dessus à l’échelle nationale, c’est quelque chose de très positif. Cela va nous permettre de restructurer l’offre de soin publique et privée, car le problème, en France, réside surtout dans l’accès aux soins de psychiatrie.
Est-ce que cinq ans après le début de la crise sanitaire, vous sentez encore les conséquences sur la santé mentale des Français ?
Beaucoup en parlent. Cette période a été un traumatisme pour beaucoup, il y a des gens qui se sont retrouvés enfermés, sans famille, sans activités et complètement isolés. C’est ce qui les a fait basculer dans la pathologie. Certains sont entrés dans des addictions. Et c’est un évènement qui a forcément marqué les esprits de tous.
Retrouvez le replay de l’émission Votre Santé du mardi 28 janvier 2025.
À SAVOIR
Les premières nuits de la psychiatrie ont vu le jour en 2025 à l’initiative du CNUP, le Comité National des Universitaires en Psychiatrie, pour valoriser une filière trop souvent boudée par les étudiants en médecine. La première édition est organisée le vendredi 31 janvier dans sept villes universitaires de France : Bordeaux, Grenoble, Lille, Strasbourg, Tours, Paris et Lyon.