
Des millions de traitements suspendus, des soignants licenciés, des vies basculées en silence. Depuis que les États-Unis ont coupé les vannes de leur aide internationale au VIH, les lignes de front de la lutte contre le sida tremblent. Un retour en arrière de vingt ans ? L’ONUSIDA ne parle plus d’hypothèse, mais de risque imminent. Le point.
L’ONUSIDA a publié, le 10 juillet 2025, un « rapport d’alerte » sans précédent. Si l’aide américaine s’arrête définitivement, près de 6 millions de nouvelles infections et 4 millions de décès liés au sida pourraient être enregistrés d’ici 2029–2030.
Des chiffres qui ramèneraient brutalement la pandémie à ses niveaux des années 2000. Ce scénario cauchemardesque sonne comme un avertissement urgent : sans engagement international, le VIH/Sida pourrait redevenir un fléau incontrôlé.
Et, loin d’être épargnée par les répercussions internationales, la France joue un rôle clé dans cette lutte mondiale. Deuxième contributeur historique du Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose (avec 1,6 milliard d’euros engagés sur 2023–2025), elle est aujourd’hui attendue au tournant. D’autant que plusieurs ONG françaises actives sur le terrain, comme Sidaction, AIDES ou Solthis, s’inquiètent d’une “déflagration” à venir, notamment en Afrique francophone où elles interviennent.
Un pas en avant, vingt ans en arrière
Quand l’Amérique éternue, le monde tremble
Lancé en 2003 par George W. Bush, le programme PEPFAR est depuis devenu LA colonne vertébrale de la lutte contre le VIH dans les pays à forte prévalence. 110 milliards de dollars investis, et plus de 25 millions de vies sauvées à travers le monde. En 2024, il soutenait les tests de 84 millions de personnes et traitait 20,6 millions d’autres.
Mais voilà. Depuis février 2025, les États-Unis ont suspendu la majorité des fonds. Résultat, des programmes qui s’effondrent comme des dominos, des stocks de médicaments qui fondent, des structures associatives abandonnées, et surtout, des soignants qui n’ont plus les moyens d’agir.
Quelles sont les répercussions immédiates ?
- 6 millions de nouvelles infections au VIH anticipées d’ici 2029.
- 4,2 millions de décès supplémentaires liés au sida.
- Des pays comme le Nigéria, le Mozambique, l’Éthiopie, ou encore le Kenya voient déjà leurs dispositifs de prévention s’écrouler.
Et les coupes américaines ont aussi un effet domino sur les projets cofinancés par la France via l’AFD (Agence française de développement) ou le Fonds mondial. Certaines ONG françaises actives au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire ou au Sénégal rapportent des ruptures de stock de traitements, des retraits de personnel et une recrudescence de nouveaux cas diagnostiqués chez les jeunes, notamment chez les jeunes femmes.
Prenons le cas du Nigéria. En 2023, près de 43 000 personnes bénéficiaient de la PrEP (ce traitement préventif si précieux). En juin 2025, elles ne sont plus que 6 000 à y avoir accès (ONUSIDA, rapport 2025). Au Mozambique, plus de 30 000 agents de santé communautaires ont été licenciés faute de budget. Et ce n’est qu’un début.
Un retour aux années noires ?
Avant 2003, le sida faisait des ravages silencieux. Aucun traitement accessible, peu de campagnes de prévention, un tabou omniprésent. Ce que les chiffres actuels nous disent, c’est que sans argent, le virus redeviendra aussi meurtrier qu’avant.
En 2023, grâce à une couverture thérapeutique antirétrovirale à plus de 77 %, le nombre de morts liés au sida avait été ramené à 630 000 par an (contre plus de 2 millions en 2004). C’est le fruit de 20 ans de travail, d’investissements, de mobilisation mondiale.
Mais la machine est en train de s’enrayer. Et les associations de terrain tirent la sonnette d’alarme.
En France aussi, la vigilance reste de mise. Si l’épidémie est stable sur notre territoire, avec environ 5 000 nouveaux diagnostics par an selon Santé publique France, les professionnels constatent une baisse des moyens attribués à la prévention, notamment dans les milieux précaires, les quartiers populaires ou auprès des migrants. Les associations dénoncent un recul de l’attention publique sur le VIH, au profit d’autres priorités politiques.
Et maintenant, on fait quoi ?
Investir local, sans attendre
Première piste : pousser les pays directement touchés à prendre davantage la main sur leur propre réponse au VIH. 25 pays à revenu faible ou intermédiaire se sont déjà engagés à augmenter leur budget santé consacré au VIH.
C’est une première avancée. Mais sans le relais des donateurs traditionnels, ça ne suffira pas à maintenir les traitements, la prévention et le suivi à flot.
Alléger la dette pour soigner plus
Autre levier : donner un peu d’air aux pays étranglés par leur dette. L’ONUSIDA propose un mécanisme simple mais ambitieux : permettre à ces États de réorienter une partie de leur remboursement vers des programmes de santé publique.
En gros, moins d’intérêts bancaires, plus de médicaments. Une forme de “troc humanitaire” qui, pour une fois, mettrait l’humain avant les chiffres.
Rendre les nouveaux traitements accessibles à tous
Enfin, un rayon d’espoir scientifique : le lenacapavir, un traitement injectable à longue durée d’action (six mois). Révolutionnaire dans sa simplicité, il pourrait transformer la prévention et l’adhésion au traitement, notamment chez les plus jeunes.
Grâce à un accord signé en juillet 2025 entre le Fonds mondial et le laboratoire Gilead, ce médicament sera disponible dès fin 2025 dans sa version générique, pour environ 25 euros par an. Une avancée majeure à condition que les systèmes de santé soient encore debout pour le distribuer.
Et la France, dans tout ça ?
La France, elle, tient encore la barre. Elle a confirmé, par la voix de Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, son engagement au Fonds mondial pour la période 2023–2025. Un signal positif.
Mais les ONG françaises attendent bien plus qu’un maintien du cap. Elles réclament un plan d’urgence clair, des financements fléchés vers les projets en péril, et un soutien plus fort aux associations qui, sur le terrain tiennent la ligne de front.
Une solidarité à réinventer
Ce n’est pas juste une affaire de milliards. C’est une question de priorités humaines. Le sida n’a pas disparu, et les virus, eux, ne prennent jamais de vacances électorales.
Ce que montre cette crise, c’est que la lutte contre le VIH dépend encore de décisions politiques éloignées des réalités de terrain. Si le combat contre le sida était un bras de fer, alors aujourd’hui, le bras le plus musclé (l’Amérique) vient de lâcher la corde.
Il reste les ONG, les médecins, les soignants de brousse, les militantes trans, les associations de mères séropositives. Il reste les autres pays donateurs. Il reste nous. Mais pour combien de temps, si le nerf de la guerre manque ?
À SAVOIR
Selon Santé publique France, en 2023, 29 % des nouveaux diagnostics de VIH ont été réalisés à un stade dit « tardif », c’est-à-dire lorsque l’infection est déjà bien installée et que le système immunitaire est affaibli.







