
Des marques prisĂ©es des enfants (Babybel, Kiri, Petits Filous, DanoninoâŠ) viennent dâĂȘtre pointĂ©es du doigt par lâONG Foodwatch : selon elle, leur marketing trompeur masque des profils nutritionnels dĂ©favorables, trop sucrĂ©s, trop gras ou ultra-transformĂ©s. Que rĂ©vĂšle lâenquĂȘte ? Quelle est la part de rĂ©alitĂ© derriĂšre lâalerte ? Et que choisir Ă la place ? DĂ©cryptage.
DerriÚre la petite cire rouge du Babybel, le sourire moelleux du Kiri ou les couleurs acidulées des Petits Filous se cache une stratégie marketing parfaitement rodée. Ces produits ont été pensés pour plaire aux plus jeunes et rassurer les parents.
Mais selon Foodwatch, cette image âplaisir et santĂ©â relĂšve davantage du discours publicitaire que de la rĂ©alitĂ© nutritionnelle. Lâassociation, connue pour ses campagnes contre les emballages trompeurs, a publiĂ© le 6 octobre 2025 un rapport intitulĂ© : « Ces dix produits laitiers pour enfants au marketing racoleur ne sont pas sains ».
Elle Ă©pingle dix rĂ©fĂ©rences trĂšs connues : Kiri GoĂ»ter, Mini Rolls Babybel, Petits Filous, Danonino, Pâtite Danette, Nesquik Petit, Pâtit Louis, yaourts Smarties, et les gourdes de yaourt Carrefour.
Ce qui leur est reprochĂ© ? Dâabord, leur marketing jugĂ© trompeur, avec ses mascottes, ses couleurs vives et ses slogans qui suggĂšrent un produit sain, adaptĂ© Ă la croissance des enfants. Ensuite, leur composition nutritionnelle, souvent riche en sucres ajoutĂ©s, en graisses saturĂ©es ou en additifs issus de lâindustrie agroalimentaire.
Autrement dit, ces produits cumulent deux travers : séduire les enfants et rassurer les parents tout en contournant les recommandations de santé publique.
Mais que reproche-t-on vraiment Ă ces produits ?
Du calcium, certes⊠mais aussi du sucre et des additifs
Les industriels mettent souvent en avant la prĂ©sence de calcium et de protĂ©ines dans leurs produits. Câest vrai, un Babybel, par exemple, contient environ 650 mg de calcium pour 100 g, soit prĂšs des deux tiers des besoins quotidiens dâun enfant de 6 ans.
Mais Foodwatch rappelle quâil ne suffit pas dâavoir du calcium pour ĂȘtre âsainâ. Car le reste de la recette mĂ©rite dâĂȘtre scrutĂ© : taux de graisses saturĂ©es Ă©levĂ©, utilisation dâadditifs, ou prĂ©sence dâarĂŽmes artificiels dans les desserts lactĂ©s.
Un exemple frappant, le Kiri GoĂ»ter. Ce produit associe un fromage fondu sucrĂ©, une tartinette et des petits biscuits. Or, selon les donnĂ©es dâĂ©tiquetage, il contient des polyphosphates (des additifs servant Ă Ă©mulsionner la texture) et environ 15 % de graisses saturĂ©es.
De mĂȘme, certains Petits Filous ou Danonino peuvent afficher jusquâĂ 12 g de sucres pour 100 g, soit lâĂ©quivalent de trois morceaux de sucre dans un seul pot. Ă lâĂ©chelle dâun goĂ»ter quotidien, ces quantitĂ©s ne sont pas anodines.
Les recommandations de lâOrganisation mondiale de la SantĂ© (OMS) sont pourtant claires. Les sucres libres ne devraient pas dĂ©passer 10 % de lâapport Ă©nergĂ©tique total, et idĂ©alement 5 % pour prĂ©server la santĂ© mĂ©tabolique des enfants. En pratique, un enfant de 7 ans ne devrait pas consommer plus de 25 g de sucres libres par jour, soit Ă peine deux yaourts aromatisĂ©s.
Un marketing bien huilĂ©, qui parle dâabord aux enfants
Au-delĂ de la nutrition, câest la communication de ces marques qui pose problĂšme. Foodwatch pointe une stratĂ©gie de sĂ©duction bien huilĂ©e, oĂč tout est pensĂ© pour attirer lâĆil des enfants. Mascottes joyeuses, couleurs vives, slogans simples (âbon pour grandir !â, âalliĂ© des os solides !â), voire petits jeux imprimĂ©s sur lâemballage. Un packaging qui rassure les parents pressĂ©s, tout en contournant la vigilance nutritionnelle.
LâONG dĂ©nonce Ă©galement des allĂ©gations santĂ© ambiguĂ«s. La mention du calcium ou des vitamines D ne suffit pas Ă compenser la teneur en sucres et en graisses saturĂ©es.
Ces pratiques, estime Foodwatch, contreviennent Ă lâesprit des recommandations de lâOMS, qui appelle les Ătats Ă limiter le marketing des produits gras, sucrĂ©s ou salĂ©s auprĂšs des enfants. En France, cette rĂ©gulation reste encore faible. Lâusage de personnages, de cadeaux ou dâarguments âbien-ĂȘtreâ nâest pas interdit, tant que le produit nâest pas explicitement prĂ©sentĂ© comme âmĂ©dicalement bĂ©nĂ©fiqueâ.
Ce double discours crĂ©e un climat de confusion. Dans lâimaginaire collectif, un produit laitier âpour enfantsâ reste associĂ© Ă la santĂ©, mĂȘme lorsque sa formulation sâen Ă©loigne. Et câest lĂ , souligne Foodwatch, que rĂ©side la plus grande tromperie, celle de faire passer un aliment plaisir pour un aliment nĂ©cessaire.
Que dit la science sur les produits ultra-transformés ?
Depuis une dizaine dâannĂ©es, la littĂ©rature scientifique ne cesse de confirmer le lien entre consommation dâaliments ultra-transformĂ©s et risques accrus de surpoids, diabĂšte ou maladies cardiovasculaires.
Une Ă©tude française menĂ©e dans le cadre de la cohorte NutriNet-SantĂ© (Inserm, 2023) montre quâune augmentation de 10 % de la part dâaliments ultra-transformĂ©s dans lâalimentation quotidienne est associĂ©e Ă une hausse du risque de maladies cardiovasculaires de 12 %. Ces rĂ©sultats nâimpliquent pas que manger un Babybel soit dangereux en soi, mais quâune alimentation dominĂ©e par ce type de produits industriels peut avoir des effets cumulĂ©s sur la santĂ©.
LâĂ©tude ESTEBAN menĂ©e par SantĂ© publique France entre 2014 et 2016 tire dâailleurs le mĂȘme constat. Les enfants français consomment encore trop de produits sucrĂ©s et gras, et leurs apports en fibres ou en fruits sont insuffisants. Lâagence recommande de limiter les produits transformĂ©s et de favoriser les produits bruts (fruits, lĂ©gumes, lĂ©gumineuses, yaourts nature) pour rééquilibrer les apports.
Faut-il bannir Babybel et Kiri ?
Pas forcĂ©ment, mais les rĂ©server Ă lâoccasion
Tous les produits pointés du doigt ne se valent pas. Certains, comme le Mini Babybel, restent des fromages relativement simples, riches en calcium et pauvres en sucres.
Leur reproche principal concerne surtout leur positionnement marketing âpour enfantsâ plus que leur composition intrinsĂšque. Dâautres, en revanche (crĂšmes dessert, yaourts aromatisĂ©s, goĂ»ters lactĂ©s) sont plus problĂ©matiques sur le plan nutritionnel.
Autrement dit, tout est une question de frĂ©quence et de quantitĂ©. Consommer une Pâtite Danette ou un Kiri GoĂ»ter de temps Ă autre nâa rien dâalarmant ; mais en faire un rĂ©flexe quotidien revient Ă exposer lâenfant Ă un excĂšs de sucres, dâadditifs et de graisses saturĂ©es. Ces produits devraient rester des encas occasionnels, pas des âindispensables du goĂ»terâ.
Pour les parents, quelques rĂ©flexes simples peuvent aider : privilĂ©gier les yaourts nature, les fromages blancs non sucrĂ©s, ou encore les produits portant un bon Nutri-Score (A ou B). On peut aussi aromatiser soi-mĂȘme les yaourts avec un peu de fruit frais ou une cuillĂšre de compote sans sucre ajoutĂ©.
Une question de transparence et de confiance
Le dĂ©bat ouvert par Foodwatch dĂ©passe le simple cas de Babybel ou Kiri. Il interroge notre rapport collectif Ă la transparence alimentaire. Pourquoi les produits destinĂ©s aux enfants ne font-ils pas lâobjet de rĂšgles plus strictes ? Pourquoi tolĂšre-t-on encore des emballages qui flattent la santĂ© sans obligation dâĂ©quilibre nutritionnel ?
Ces questions, dĂ©jĂ soulevĂ©es au niveau europĂ©en, restent dâactualitĂ©. Lâassociation appelle Ă mieux encadrer le marketing ciblant les enfants, Ă imposer un Ă©tiquetage clair et lisible, et Ă rendre obligatoire le Nutri-Score sur lâensemble des produits vendus en Europe.
Car au fond, le vrai enjeu nâest pas de diaboliser des marques historiques, mais de rĂ©tablir une information honnĂȘte. Les enfants nâont pas besoin de promesses colorĂ©es ; ils ont besoin de produits simples, sĂ»rs, et dâune Ă©ducation alimentaire cohĂ©rente. Et câest aussi Ă nous, adultes, de redonner Ă leurs goĂ»ters la place quâils mĂ©ritent.
Ă SAVOIR
Selon SantĂ© publique France, prĂšs de 70 % des enfants consomment chaque jour au moins un produit ultra-transformĂ©, et ces aliments reprĂ©sentent en moyenne plus dâun tiers de leurs apports Ă©nergĂ©tiques. Cette habitude favorise le surpoids, qui touche dĂ©sormais prĂšs dâun enfant sur cinq en France.







