Des soignants à bout de souffle, confrontés à la crise de l'hôpital et au manque d'attractivité des filières de formation dans le soin, et notamment dans les écoles d'infirmières.
Dans des hôpitaux exangues, la relève, effrayée par les conditions de travail de ses aînés, se fait attendre. ©Depositphotos

Symptomatique du mal qui ronge le système de santé français, les filières de formations de soignants sont dans le dur. En première ligne, les infirmières et infirmiers, essentiels dans la chaîne du soin mais dont l’activité souffre d’un terrible manque d’attractivité. Un tiers des étudiants en IFSI abandonnent en effet avant d’exercer, effrayés par des conditions de travail particulièrement dégradées, et les acteurs de santé sont obligés de recruter malin pour garnir leurs rangs. Le point.

Qu’ils semblent lointains, les applaudissements du confinement… Infirmières, médecins, aides-soignantes… Trois ans plus tard, le formidable engouement post-Covid pour les métiers du soin est retombé plus vite qu’un soufflé, et les carences, déjà criantes, se sont encore accentuées.

Ce cercle vicieux confirme que la crise, chez les soignants du privé comme du public, est systémique. Le modèle de santé à la Française est à bout de souffle : les déserts médicaux se creusent, les services, à commencer par ceux des urgences, ferment faute de personnel, le mal-être secoue des cabinets et hôpitaux aux conditions de travail dégradées… Et les rangs, inévitablement, se clairsement peu à peu. Difficile en effet, dans ces conditions, d’attirer la relève tant attendue, alors que les attentes des patients se font toujours plus pressantes, tant la santé est passée au premier rang des priorités générales.

« De plus en plus de démissions »

« Nous ne sommes pas face à une crise des vocations, mais de l’hôpital, avec de forts sentiments d’être surexploités, mal considérés… Que ce soit chez les médecins comme les infirmières, qui tous veulent de meilleures conditions de vie, on assiste à de plus en plus de démissions, d’abandons de postes, de départs vers le privé et le libéral », témoigne le Pr Jean-François Guérin, professeur émérite à la faculté de médecine Lyon Est dont il fut coordonnateur, jusqu’en septembre 2021, de la Première Année Commune aux Études de Santé (PACES).

La suppression du numerus clausus, qui limitait l’accès aux études de médecine, va en partie résorber les trous qui se sont formés au départ (massif) des boomers. Un début de réponse dont on ne récoltera toutefois les fruits qu’à partir de 2030, puisqu’il faut au moins dix ans pour former un médecin. Mais le mal semble encore plus profond chez les infirmier(e)s, chez qui les dégradations des conditions de travail forment des coupes sombres.

Hémorragie sur les bancs des écoles d’infirmières

Des étudiants en formation pour intégrer les métiers du soin, en pleine crise de l'hôpital
Un tiers des étudiants en IFSI désertent avant la fin de leurs études. ©Depositphotos

« On manque de médecins aujourd’hui, on manquera d’infirmières demain », prévient Philippe Rey, le président de l’URPS Infirmiers libéraux Auvergne-Rhône-Alpes. En cause, des départs sans cesse plus nombreux vers d’autres horizons, et une formation qui patine. Selon la DRES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), 10% des étudiants en écoles d’infirmières jettent en effet l’éponge dès la première année, contre 3% en 2011. 7% le font en deuxième année, et encore 4% en troisième année d’études.

« La population estudiantine a changé à cause de Parcours sup », note le Pr Guérin. « Avant, il y avait un écrit et un oral très sélectif sur le plan des motivations ». La volonté de faciliter l’accès aux IFSI (Institut de Formation en Soins Infirmiers) en supprimant cet oral a-t-il eu l’effet inverse ? « Les politiques ont voulu faire du volume, mais cette démarche va dans le mur car bon nombre de candidats ne s’y retrouvent pas », constate Philippe Rey.

Les entretiens avaient cet intérêt d’éviter les erreurs de casting et de bonifier une attractivité déjà mise à mal par des conditions salariales _loin d’être engageantes malgré les avancées du Ségur de la Santé_ et d’exercice peu conformes avec les attentes des soignants d’aujourd’hui.

25 000 postes vacants dans le paramédical

S’il y a toujours autant de demandes aux portes des écoles, l’hémorragie, dans les rangs infirmiers, a donc toutes les chances de s’amplifier dans les prochaines années. Selon la dernière enquête ‘’besoin de main d’œuvre’’ de Pôle Emploi, le taux de difficulté de recrutement d’infirmières a augmenté de 53% entre 2017 et 2022.

« Le secteur public hospitalier et médico-social compte près de 1,2 million de professionnels. 25 000 postes de professionnels paramédicaux sont vacants dont 4% à 5% des postes d’infirmiers et 2,5% des postes d’aides-soignants. Côté praticiens hospitaliers publics, 30% des postes sont vacants. Mais ce chiffre cache d’importantes disparités, selon les spécialités. Pourtant, les besoins de soins et d’accompagnement n’ont jamais été aussi forts en France, sous l’effet notamment de la hausse des maladies chroniques, du vieillissement de la population, des progrès continus des connaissances et techniques médicales… », témoigne Sophie Marchandet, responsable Ressources Humaines à la Fédération Hospitalière de France.

VAE, alternance, reconversion… Tout pour regarnir les bancs des écoles d’infirmières !

La profession, elle, avance plusieurs pistes pour remédier au mal : donner de nouvelles compétences (à l’image des infirmières de pratiques avancées) et une plus grande autonomie à la pratique infirmière, ouvrir le métier au monde de la faculté pour avoir des infirmières doctorantes, revoir les conditions d’accès aux écoles d’infirmières, donner plus de place à la VAE, allonger de six mois la formation, améliorer les conditions de stage des étudiants, confrontés à des professionnels épuisés et, parfois, désabusés… Ce qui passe, bien sûr, « par une nécessaire amélioration des conditions d’exercice », souligne Philippe Rey.

« Les cursus classiques ne suffiront pas »

En attendant, l’heure est à la débrouille. Fin mai, les CHU de Lyon (Hospices Civils de Lyon), Grenoble et Clermont-Ferrand ont envoyé des équipes au Village des CHU du salon Infirmier à Paris (connecté à SantExpo) pour proposer en direct des postes à pourvoir, dans une sorte de job dating. L’exemple est éloquent : il révèle combien les opérateurs, quel que soit leur secteur, doivent rivaliser d’imagination pour attirer des candidats.

« Les cursus classiques sont indispensables et sont gages d’une certaine référence en matière de formation, mais ils ne suffiront pas », confirme Pierre-Yves Guiavarch, directeur général du groupe privé associatif ACPPA, gestionnaire d’une quarantaine d’Ehpad en France. Bien placé pour mesurer la pénurie d’infirmières, mais également d’aides-soignantes, celui qui est aussi délégué régional du Synerpa, premier syndicat national des maisons de retraites privées, explique tout l’intérêt à « multiplier les sources de recrutement ». À travers le développement de l’apprentissage et de l’alternance. Mais aussi de la reconversion et de la VAE, un outil particulièrement adapté aux filières gérontologiques. Ou encore de l’AFEST (action en formation en situation de travail), qu’il juge « essentielle pour la fidélisation et la limitation de l’usure professionnelle ».

Le groupe ACPPA, depuis 2007 déjà, s’appuie sur un organisme spécifique pour faciliter ses problématiques de recrutement. Aujourd’hui implanté à Lyon, Montpellier, Bordeaux et Paris, ce Pôle Formation Santé l’aide à garnir ses rangs d’aides-soignantes : 266 sont actuellement en cours de formation, et son taux de réussite aux examens dépasse les 90% (107 diplômées sur 119 postulantes en 2022). Le modèle pourrait-il être dupliqué pour la formation d’infirmières ? Le Pôle Formation Santé a déposé une demande d’agrément pour la création d’un nouvel Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI). Qui deviendrait, le cas échéant, la quatorzième école d’infirmières en région lyonnaise. Le signe, sans doute, que l’engouement pour les filières de soins ne s’est pas totalement évaporé.

À SAVOIR

Pour intégrer un IFSI (Institut de Formation en soins Infirmiers), il faut avoir plus de 17 ans et être titulaire du bac (ou diplôme équivalent). Les IFSI sont accessibles aux étudiants, via Parcoursup, mais également sur concours spécial aux aides-soignants et auxiliaires puéricultrices. Le concours d’entrée est également ouvert aux personnes en reconversion (critères : être en activité et avoir cotisé au moins 3 ans à un organisme de sécurité sociale).

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Journaliste expert santé / Rédacteur en chef adjoint du Groupe Ma Santé. Journaliste depuis 25 ans, Philippe Frieh a évolué dans la presse quotidienne régionale avant de rejoindre la presse magazine pour mettre son savoir-faire éditorial au service de l'un de ses domaines de prédilection, la santé, forme et bien-être. Très attaché à la rigueur éditoriale, à la pertinence de l'investigation et au respect de la langue française, il façonne des écrits aux vertus résolument préventives et pédagogiques, accessibles à tous les lecteurs.

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