Économiste spécialiste des problématiques de santé et de protection sociale, fondateur de l’Institut Santé, Frédéric Bizard milite pour une réforme en profondeur de notre système de santé. Une refondation qui passe par une révolution dans l’organisation, la gouvernance et le financement. Explications.
Notre système de santé est malade… Perte de sens, crise des vocations, démissions en série, dépressions, absentéisme, saturation des services, épuisement du personnel soignant, apparition de déserts médicaux, frustration des libéraux… Les symptômes de la maladie sont multiples et la crise liée à la pandémie de Covid-19 n’aura finalement été que le révélateur d’un système à bout de souffle. Une sorte de miroir grossissant dont le reflet ne manque pas d’inquiéter à la veille des vacances estivales.
Victimes d’une pénurie de personnel inédite, de nombreux établissements sont contraints de fermer des lits, voire carrément des services, faute de main-d’œuvre qualifiée. Quant aux urgences, déjà au bord de l’implosion, elles s’attendent à vivre un été brûlant, incandescent, entre manque de personnel et sollicitations (souvent) injustifiées.
Dans ce brasier, les autorités tentent de jouer les pompiers de service à grands coups d’annonces médiatiques. Des pansements sur une jambe de bois, ironiseront les plus virulents, adeptes d’une réforme en profondeur, d’une révolution sanitaire pour faire table rase d’un système obsolète. L’économiste Frédéric Bizard, fondateur de l’Institut Santé, est en première ligne de cet appel à la refondation.
“Il faut s’attaquer aux causes de la crise”
Pourquoi notre système de santé est-il en crise ?
Pour plusieurs raisons. Mais la principale réside dans le changement radical de notre environnement, ces trente dernières années, avec une triple transition démographique, épidémiologique et technologique. Notre système a été conçu pour gérer le bien-vieillir ou les pathologies chroniques par exemple. La concentration de la gouvernance de la santé au niveau de l’État, la centralisation des pouvoirs de décision depuis 1996, n’ont fait qu’aggraver cette situation avec une hyper bureaucratisation et une perte de sens. Il y a donc une nécessité de réformer tout ce système en s’attaquant aux causes de la crise.
C’est-à-dire ?
D’une part, adapter le système de santé à son nouvel environnement et desserrer l’étau de l’État pour une approche moins technocratique, moins comptable, plus pragmatique.
La crise Covid n’a-t-elle pas été le révélateur des limites de notre “vieux” système de santé ?

Forcément pour le grand public et les personnes peu averties. Mais nous étions nombreux à tirer la sonnette d’alarme bien avant l’épidémie. Avant le Covid, nos politiques étaient persuadés d’avoir le meilleur système de santé du monde. Depuis, on a vu qu’il y avait de nombreux trous dans la raquette ! L’autre effet de la crise Covid, c’est la moindre acceptation de la pénibilité et des conditions dégradées du travail dans le secteur de la santé. Les professions du soin, comme beaucoup de professions liées au service public en France, ont été insuffisamment valorisées au niveau des rémunérations mais aussi des conditions de travail. Les professionnels de santé ont compris qu’ils avaient besoin de donner du sens à leur travail, et pas seulement une augmentation sur leur feuille de paie. Résultat, aujourd’hui, on se retrouve en pénurie de personnel dans de nombreux secteurs, qu’il s’agissent des Ehpad, du médico-social, mais aussi du médical et de l’hospitalier.
Réforme du système de santé : “on vit depuis quinze ans une fuite en avant”
C’est vrai que les filières médicales ne font plus rêver. Est-ce inquiétant ?
Oui, si on considère que l’État continue de traiter le symptôme plutôt que s’intéresser à la cause du problème. Prenez l’exemple des urgences hospitalières. On vit depuis quinze ans une fuite en avant en donnant toujours plus de moyens, en augmentant sans cesse les effectifs, pour traiter toutes les pathologies. Même les plus bénignes. C’est un cycle infernal, très coûteux, qu’il faut régler en amont avec des décisions politiques fortes. Ce constat pose notamment la question des différences de paiement des actes, gratuits à l’hôpital et payants en ville. Conséquence, une saturation de certains services urgences par des consultations répétées et non justifiées de personnes désinsérées socialement. Voilà qui préfigure les dérives d’une médecine gratuite que certains voudraient voir généraliser dans notre pays.
L’une des erreurs de notre système de santé n’est-il pas de privilégier le curatif au préventif ?
Si, évidemment. Depuis quinze ans, on assiste à une progression anormale des patients d’affections de longue durée. C’est la preuve que l’on fait trop peu de prévention. Rappelons que 40% des cancers sont inévitables. Il faut se donner les moyens de vieillir en bonne santé. Certes, c’est une politique de long terme. Mais toute action nécessaire sur le long terme est plus urgente qu’une action nécessaire avec un impact à court terme.
“Il n’y a plus de pilote dans l’avion”
Partant de ce constat assez noir, quelles solutions préconisez-vous pour sortir de cette impasse ?
La solution est systématique et à plusieurs niveaux. D’abord, au niveau de l’organisation des acteurs. L’État veut tout gérer mais, au final, il n’y a plus de pilote dans l’avion ! Il faut donner plus de pouvoirs au terrain, envisager une approche décloisonnée avec un service public territorial défini par bassins de vie. Chaque territoire, de taille critique suffisante, serait l’unité géographique de référence et intégrerait tous les professionnels de santé pour une réponse concrète et efficace aux besoin de la population.
Cette réforme de la gouvernance passera par la création de quatre collèges : élus locaux, professionnels de santé, associations de patients et institutionnels. Elle passe aussi par une redéfinition de la notion de service public puisqu’à l’avenir, tous les professionnels de santé, du public comme du privé, participeraient à un service public territorial de santé. Fini le service public exclusivement hospitalier. Enfin, l’autre grande priorité consiste à revoir le financement du système.
La Cour des comptes a mis en évidence son ineptie, système à la fois le plus coûteux d’Europe et le plus onéreux du monde – derrière les États-Unis – en dépenses administratives, de faible efficacité dans la qualité de la couverture du risque et très inégalitaire pour sa partie complémentaire privée.
Comment réformer ce système auquel les Français sont pourtant très attachés ?
En raisonnant par prestation et en décroisant les paniers de soins. Actuellement, pour un service ou un produit, vous avez un premier niveau de financement, l’Assurance Maladie, et un deuxième niveau, la complémentaire santé. Pour réduire les coûts administratifs, il faut avoir une meilleure lisibilité, une meilleure efficacité dans la gestion du risque, donc avoir un seul financeur par prestation : dans la grande majorité des cas, ce sera, la Sécurité Sociale. On sera alors vraiment ce que coûte une prestation de santé.
Compte tenu de ce constat et des nombreux signaux d’alerte, êtes-vous inquiet pour la gestion de la santé cet été ?
Il faut voir plus loin que cet été ! Afin que la France dispose enfin d’un système de santé performant. On n’a jamais eu autant de professionnels de santé diplômés mais ils ne veulent plus aller faire du soin. Ce système ne les intéresse pas. Ne les intéresse plus. On va donc forcément vers une aggravation de la capacité de soigner les gens. On est sur le dernier maillon, le risque vital.
À SAVOIR
Frédéric Bizard a fondé en 2018 l’Institut Santé, centre de recherche appliqué dédié à la refondation du système de santé français. Auteur de plusieurs ouvrages dont ” L’autonomie solidaire en santé” (Édition Michalon – 2021), cet enseignant à l’Université de Dauphine et à l’ESCP anime aussi régulièrement des conférences grand public. Il a notamment réuni plus de trois cents personnes, en mars dernier, à l’Hôtel de Ville de Lyon. L’Institut Santé et sa déléguée générale, Christelle Galvez, par ailleurs directrice des soins et des parcours de soins au Centre Léon Bénard de Lyon, organisent aussi chaque mois une réunion en distancié autour de la refondation de notre système de santé.
Je souhaiterais avoir des renseignements ( dans le but d’y participer quand cela est possible) concernant les réunions mensuelles en distancié autour de la refondation de notre système de santé.
Bonjour,
nous ne sommes que le relais de la position défendue par Frédéric Bizard et l’Institut Santé. Le plus simple est de le contacter via son site internet : http://www.institut-sante.org. Ils ont des antennes dans certaines régions, dont la nôtre, Auvergne-Rhône-Alpes.
La rédaction de Ma Santé