
Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, comme en France entière, l’accès aux soins dentaires devient un véritable parcours du combattant. Dans certains territoires, la situation est particulièrement critique, et les conséquences terribles, pour les patients mais aussi pour les chirurgiens-dentistes libéraux, confrontés à une dégradation galopante de leurs conditions d’exercice, comme l’a récemment révélé une enquête inédite menée auprès de plus de 4 000 chirurgiens-dentistes libéraux par l’URPS Chirurgiens-Dentistes AuRA. Son président, le Dr Éric Lenfant, a brossé les grandes lignes de ce système à bout de souffle lors de son passage sur le plateau de l’émission Votre Santé du mardi 15 avril 2025.
C’est un signal d’alarme que tirent aujourd’hui les dentistes libéraux d’Auvergne-Rhône-Alpes, où l’accès aux soins bucco-dentaires devient de plus en plus inégal.
Si les patients sont les premiers concernés, la situation n’épargne pas les praticioens eux-mêmes, confrontés à une dégradation galopante de leurs conditions d’exercice. Une enquête menée par l’Union Régionale des Professionnels de Santé (URPS) Chirurgiens-Dentistes AuRA auprès des 4 082 praticiens de la région révèle un malaise profond : 76% des sondés évoquent un “exercice quotidien épuisant et énergivore”, signe d’un épuisement professionnel quasi général. La surcharge administrative et la judiciarisation de la profession ajoute au mal-être, tout comme un sentiment insécurité grandissante dans les cabinets.
Mais le chiffre qui inquiète le plus est peut-être celui de l’attractivité de l’exercice libéral. Compte-tenu du contexte, de plus en plus de chirurgiens-dentistes se tournent vers le salariat, et près de 80 % des dentistes déclarent ainsi avoir du mal à recruter un collaborateur ou un remplaçant.
Cette tendance accroît les inégalités et des territoires entiers se retrouvent privés de dentistes. Selon l’URPS CD ARA, “30% des chirurgiens-dentistes actuels partiront à la retraite d’ici à 2030. Et la plupart de ces partants exercent dans des zones sous-dotées”. Dans l’Allier, par exemple, un quart des praticiens a plus de 65 ans…
Autre motif d’inquiétude, la relève attendue fait faillite, tant en quantité qu’en qualité. En effet, en 2023, le nombre de diplômés formés à l’étranger (1371) dépassait celui du nombre de diplômés en France (1329)…
Face à cette situation, l’URPS ne reste pas les bras croisés. Depuis plusieurs années, elle innove avec des solutions concrètes : le GreenCab, un cabinet dentaire mobile installé dans les zones les plus isolées, un service de soins itinérants en Ehpad, ou encore Kidouli, un programme éducatif soutenu par l’UNESCO pour sensibiliser les plus jeunes à l’hygiène dentaire.
Son président, le Dr Éric Lenfant, a aussi choisi d’interpeller directement les autorités publiques, en signant une lettre ouverte directement adressée au ministre de la Santé et de l’Accès aux Soins, Yannick Neuder. Il y alerte le ministre sur les “dysfonctionnements qui affectent le maillage territorial, notamment face aux contraintes socio-économiques et aux lourdes réglementations propres aux libéraux”. Le courrier compile également une série de propositions pour “améliorer et rationaliser l’offre de soins libérale”.
Invité de l’émission Votre Santé, le mardi 15 avril 2025, le Dr lenfant est revenu sur les actions déjà engagées, et sur les mesures urgentes à prendre pour éviter que la fracture dentaire ne devienne irréversible.
Déserts dentaires : comment répondre à cette répartition inégale ?
Existe-t-il des déserts dentaires ?
Oui. Il devient difficile de trouver du personnel qualifié. Certaines zones n’ont plus du tout de chirurgien-dentiste, notamment en Auvergne. Mais toute la région Auvergne-Rhône-Alpes est concernée. L’ARS a d’ailleurs publié des cartes qui confirment l’existence de déserts dentaires. Et ce ne sont pas uniquement des zones rurales. Les métropoles aussi souffrent de ce manque. Même dans les centres-villes, il est difficile de répondre à la demande de soins.
Lyon est un peu moins touchée. Comme Paris, c’est une ville relativement bien dotée. Mais dans certains départements, les écarts peuvent aller du simple au double.
Comment répondre à ce manque de professionnels dans les zones sous-dotées ?
Nous avons proposé plusieurs solutions. Par exemple, un conteneur transformé en cabinet dentaire, installé au cœur d’un village. En Ardèche, ce projet a attiré environ 600 personnes sur liste d’attente. C’est une idée innovante que nous sommes en train d’exporter au Canada.
Dans le Rhône, ce type de structure est moins utile. Grâce aux facultés de Lyon et Clermont-Ferrand, les praticiens sont nombreux.
Nous avons aussi conçu un véhicule de moins de 3,5 tonnes. Il peut être conduit par tout le monde et se déplace dans les Ehpad. Ce dispositif nous a permis de soigner des milliers de personnes. Les autorités de santé – ARS, Région, CNR, articles 51 – nous ont immédiatement soutenus.
Les soins bucco-dentaires : une prévention en berne ?
Luttez-vous contre les soins “low-cost”, comme ceux proposés par Dentexia ?
Attention à ne pas tout mélanger. Il existe des centres mutualistes vertueux. Mais certains centres déviants, comme Dentexia, posent problème. C’est une hérésie. Ils ouvrent dans des zones déjà bien dotées. Résultat : ces zones deviennent surdotées, au détriment de celles qui manquent de professionnels.
Il vaudrait mieux renforcer le maillage libéral, qui concerne 85 % de la population. Ce réseau permettrait de soigner tout le monde. À mon sens, les centres ne sont pas la solution.
L’hygiène bucco-dentaire est-elle assez valorisée en France ?
Non. Et on en paie aujourd’hui les conséquences. On a trop misé sur le curatif, pas assez sur le préventif. Avec la nouvelle convention, on tente de corriger cela. Par exemple, 20 % des enfants génèrent 80 % des dépenses de santé. Ce sont eux qu’il faut toucher en priorité, avec la prévention.
Nous avons donc créé un programme appelé Kidouli, primé par l’UNESCO. Avec le soutien de l’Éducation nationale, nous sensibilisons les enfants à l’école, dès le plus jeune âge.
Pénurie, piratage, burn-out : la profession libérale sous tension
Quelles sont, selon vous, les vraies solutions pour renforcer le maillage libéral ?
Il faut déjà être plus nombreux. La moyenne européenne est de 82 chirurgiens-dentistes pour 100 000 habitants. En France, on est à 64. Dans le Cantal, on descend à 40.
Il est urgent d’encourager les étudiants à se former en France, pas à l’étranger. Et quand on accueille des étudiants étrangers, la barrière de la langue reste un vrai problème, souvent sous-estimé.
L’enquête parle aussi d’un sentiment d’insécurité. Le partagez-vous ?
Oui, malheureusement. L’insécurité ne concerne pas que les agressions ou le vandalisme. Elle touche aussi les professionnels de santé. Tous les mois, des praticiens me signalent avoir été piratés. C’est un sujet de plus en plus préoccupant. Mais ce qui nous inquiète encore plus, c’est l’épuisement professionnel. Le risque psycho-social est réel dans notre métier.
Retrouvez le replay de l’émission Votre Santé du 15 avril 2025 sur Ma Santé TV.
À SAVOIR
L’enquête menée par l’URPS auprès de 4 082 praticiens libéraux révèle que 76 % des chirurgiens-dentistes se déclarent aujourd’hui en situation d’épuisement professionnel. Un chiffre inquiétant, reflet d’un malaise profond qui touche la profession. En parallèle, 41 % des dentistes interrogés affirment être confrontés « parfois » ou « régulièrement » à des violences, incivilités ou cyberattaques dans l’exercice de leur métier. En 2020, ils n’étaient que 26 % à faire ce constat.







