Et si demain, plus une seule goutte d’alcool n’existait sur Terre ? Pas de vin à table, pas de bière en terrasse, pas de champagne pour fêter une naissance. L’idée paraît folle, presque dystopique. Que nous apporterait (ou nous coûterait) un monde sans alcool ?
Boisson millénaire et symbole de convivialité, l’alcool fait partie du quotidien de millions de Français. Mais il reste aussi l’un des produits les plus meurtriers au monde. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 2,6 millions de personnes sont mortes en 2019 à cause de l’alcool, soit près de 5 % de la mortalité mondiale.
En France, 41 000 décès par an lui sont attribués, d’après Santé publique France, dont près de 16 000 par cancers et 9 000 par maladies cardiovasculaires. L’alcool représente aussi un coût social de 102 milliards d’euros par an selon l’OFDT. Alors, si l’alcool disparaissait soudainement, que gagnerions-nous ? Et que perdrions-nous ?
Santé publique : sans l’alcool, un bond en avant spectaculaire
Un monde sans alcool : moins de morts, plus d’années de vie
La disparition de l’alcool sauverait, chaque année, des dizaines de milliers de vies en France et plus de deux millions dans le monde. En l’absence d’alcool, l’espérance de vie en bonne santé augmenterait immédiatement.
Chez les jeunes adultes, les effets seraient particulièrement visibles. Avant 40 ans, l’alcool est l’un des principaux facteurs de décès, notamment par accidents de la route, noyades, bagarres ou suicides.
À l’échelle mondiale, l’OMS estime que 13 % des décès entre 20 et 39 ans sont liés à l’alcool. Un chiffre vertigineux, mais cohérent : l’alcool désinhibe, altère la perception du risque et multiplie les comportements dangereux.
Moins d’accidents, moins de violences, moins de drames
L’impact immédiat d’un monde sans alcool se verrait sur les routes. Un accident mortel sur quatre en France implique l’alcool, selon l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR). En supprimant cette cause, ce sont plus de 2 000 vies qui pourraient être sauvées chaque année.
Aussi, en France, l’alcool est présent dans une large part des violences conjugales et sexuelles. Selon une étude menée par Santé publique France auprès de 66 000 étudiants, plus d’un cas sur deux de violences sexistes ou sexuelles survenait dans un contexte de consommation d’alcool. De même, les données du ministère de l’Intérieur indiquent que l’alcool est impliqué dans environ 40 % des homicides conjugaux recensés chaque année.
Le lien entre alcool et suicide est lui aussi solidement établi. Chaque augmentation d’un litre d’alcool pur consommé par habitant et par an est associée à + 3,6 % de suicides selon Addiction Research & Theory, 2021. L’absence d’alcool réduirait donc nettement les comportements impulsifs et les passages à l’acte.
Des hôpitaux désengorgés
L’alcool pèse lourdement sur les hôpitaux français. Selon Santé publique France, environ 1 à 3 % des passages aux urgences mentionnent explicitement un diagnostic lié à l’alcool. Mais les professionnels estiment qu’en tenant compte des cas indirects (chutes, blessures, intoxications), la part réelle pourrait approcher 20 à 30 % des admissions.
Les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale (TSAF) constituent un autre drame silencieux. La Haute Autorité de santé (HAS) estime qu’environ 8 000 enfants naissent chaque année en France avec des séquelles liées à l’exposition prénatale à l’alcool comme des troubles cognitifs, des difficultés scolaires, un handicap moteur.
En supprimant ces pathologies, la France économiserait des milliards. Le coût social global de l’alcool est estimé à 102 milliards €, soit 4,5 % du PIB, selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT).
Un bien-être retrouvé
Ceux qui participent au Dry January, cette campagne d’un mois sans alcool, en témoignent : sommeil réparé, plus d’énergie, perte de poids, teint plus lumineux. Selon une enquête de Public Health France (2024), 9 participants sur 10 déclarent un gain de bien-être, et plus d’un tiers réduisent durablement leur consommation.
Sur le plan biologique, plusieurs études de l’Inserm et The Lancet montrent qu’un arrêt total de l’alcool améliore la glycémie, la tension artérielle et le cholestérol, tout en réduisant le risque de cancer.
Un monde sans alcool : un défi social et culturel immense
Comment serait un monde sans alcool ?
On ne peut pas effacer d’un trait de plume des siècles de culture. En France, le vin, le champagne, l’apéritif font partie du patrimoine gastronomique et du lien social. Boire ensemble, c’est souvent faire société.
Un monde sans alcool ne serait donc pas qu’une victoire sanitaire mais aussi un choc culturel. Il nous faudrait donc réinventer nos rituels, nos manières de célébrer, nos codes de détente.
Mais déjà, des alternatives émergent :
- mocktails,
- kombucha,
- kéfir,
- vins désalcoolisés, …
Mais ces substituts n’ont pas encore la charge symbolique d’un verre partagé.
Vers le “sans alcool” : une mutation déjà amorcée…
Si l’arrêt total n’est pas au programme de demain, on observe quand même que les comportements changent. En cinquante ans, la consommation d’alcool pur par habitant en France a été divisée par deux, passant de 26 litres dans les années 1960 à environ 11 litres aujourd’hui. Chez les lycéens, le pourcentage de non-consommateurs est passé de 15 % en 2018 à 32 % en 2022.
Le “Dry January”, lancé en 2013 au Royaume-Uni et adopté en France depuis 2020, attire chaque année plus de 5 millions de participants. Et, même sans soutien officiel de l’État, le mouvement gagne du terrain, preuve que la sobriété festive n’est plus taboue.
Mais des résistances profondes
Alors, vous l’aurez compris, le principal frein n’est pas sanitaire, mais symbolique et économique. Le poids de la filière viticole en France (environ 500 000 emplois directs et indirects) explique la prudence politique autour du sujet.
De plus, l’État perçoit environ 4,5 milliards d’euros de taxes sur les boissons alcoolisées chaque année selon la DGFiP (direction générale des Finances publiques). Un chiffre important, mais bien inférieur au coût social global de l’alcool.
Surtout, la suppression de l’alcool poserait une question de liberté. Dans une société déjà méfiante vis-à-vis des injonctions sanitaires, un monde sans alcool pourrait être vécu comme un diktat moral.
À SAVOIR
L’alcool accompagne l’humanité depuis près de 10 000 ans. Les plus anciennes traces, découvertes en Chine à Jiahu, sont un mélange fermenté de riz, de miel et de fruits. Le vin de raisin apparaît ensuite dans le Caucase (-6000 avant J-C), tandis que la bière naît en Égypte et en Mésopotamie (-4000 avant J-C). La distillation, inventée au Moyen Âge dans le monde arabe, donnera naissance aux spiritueux modernes.








