
La santé mentale des Français va mal, et les dirigeants ne font pas exception. Mais en raison d’un certain nombre de tabous, mêlant manque de temps et autres priorités, la détection de leur mal-être se fait souvent au hasard d’une autre consultation. Un dépistage généralement beaucoup trop tardif, qui ne favorise pas une rémission, comme l’explique le Pr Jean-Michel Dorey, psychiatre au Vinatier, à Lyon, qui plaide pour la mise en place de filières thérapeutiques spécialement dédiées à la santé mentale des cadres et chefs d’entreprise. Explications, à quelques jours du dîner-débat “La Santé du dirigeant” organisé le 7 avril à Lyon par Ma Santé Events en ouverture de la Semaine de la Santé du Dirigeant.
Troubles anxieux, dépression, burn-out, suicide… La santé mentale des Français, déjà clairement défaillante depuis plusieurs années, a été mise à l’épreuve de la crise sanitaire. Résultat, les maux à l’âme s’accentuent, dans des proportions inégalées jusqu’ici.
Cette vague de mal-être balaie notamment le monde de l’entreprise, avec ses facteurs caractéristiques, qu’il s’agisse du stress, de la pression, de l’incapacité à harmoniser vie personnelle et vie professionnelle, du harcèlement…
Et cette souffrance au travail ne touche pas que les salariés. Les chefs d’entreprise, cadres et autres managers y sont également exposés. Mais les dirigeants, pour la plupart, n’en tiennent pas compte, principalement par conditionnement culturel, ce qui ne peut évidemment qu’amplifier le risque de burn-out, d’isolement et de dépression.
Dans leurs cabinets, les psychiatres ne voient pas beaucoup de dirigeants s’installer volontairement sur leur divan. C’est ce que regrette le Pr Jean-Michel Dorey, chef de pôle en psychiatrie de la personne âgée au Centre Hospitalier Le Vinatier, à Lyon, confronté à une réalité : le dépistage des troubles de santé mentale d’un dirigeant sont souvent détectés par hasard, lorsqu’il est trop tard…
Burnout du dirigeant : “un diagnostic par hasard”
Vous êtes spécialiste en psychiatrie de la personne âgée : comment avez-vous fait le lien avec la santé mentale des dirigeants ?
Dans le cadre de mes activités, au centre hospitalier Le Vinatier, je propose une consultation mémoire, destinée à diagnostiquer un trouble éventuel de la mémoire. Je reçois ainsi un certain nombre de cadres présentant des pertes de mémoire, conséquence de leur syndrome d’épuisement professionnel, ou burnout.
Ces pertes de mémoire sont donc directement liées à leur activité professionnelle. Étant confronté à cela régulièrement, j’y ai vu une problématique émergente et la nécessité de lever le drapeau rouge pour identifier les personnes à risque.
Ces dirigeants en souffrance vous consultent donc pour de toutes autres raisons que leur burnout ?
Oui. Très souvent, les victimes du burnout ne s’en rendent pas compte. Ils nous consultent pour une défaillance cognitive, et c’est à cette occasion, au milieu d’autres symptômes, que l’on peut identifier un syndrome d’épuisement professionnel.
Les causes d’un burnout sont multifactorielles, et les symptômes très variés: douleurs, troubles digestifs, épuisement physique, qui peuvent pousser à consulter un spécialiste qui, du coup, pourra diagnostiquer par hasard la véritable pathologie du patient. Le burnout n’est généralement pas simple à détecter: les symptômes dépressifs, par exemple, ne s’observent pas facilement, car il arrive fréquemment que malgré une souffrance au travail, tout aille bien à la maison.
Épuisement professionnel des cadres : les femmes encore plus à risque
Quel est le profil de ces malades silencieux ?
Plus que des chefs d’entreprise, je dirai toutes les personnes ayant des postes à responsabilité. Et les femmes sont en première ligne. Pour elles, l’activité professionnelle est à l’origine d’une pression supplémentaires. Elles doivent encore plus faire leurs preuves que les hommes, et gérer en plus la charge à domicile. La conjugaison de ces facteurs décuple le risque.
Ce phénomène est-il en train de s’accélérer ?
Il a toujours existé, mais la lecture de données récentes confirme son essor. Une étude de l’Institut National de Veille Sanitaire (INVS) a ainsi mis en lumière l’importance croissante de cette souffrance au travail, avec 5 à 10% de personnes présentant des signes de burnout.
Dans quelle mesure la crise sanitaire a-t-elle eu un impact ?
La crise sanitaire a clairement amplifié le phénomène. Le rapport au travail a changé, avec des exigences qui ne sont plus les mêmes. Pendant le confinement, la majeure partie de la population des cadres a découvert le télétravail, avec une organisation différente et, souvent, une pression professionnelle moindre. Le retour dans un cadre plus conventionnel a pu être compliqué. Les nouvelles générations, elles, ont de nouveaux besoins et cherchent avant tout à satisfaire leurs attentes personnelles.
Et puis la crise a favorisé un sentiment d’insécurité et d’inquiétude générales. L’état global de notre santé mentale est moins bon, ce qui accentue le risque de révéler des vulnérabilités.
Santé mentale des dirigeants : une prise en charge à construire
Existe-il des filières thérapeutiques particulières pour les cadres et managers ?
Pas encore, et c’est une lacune qu’il faut combler. Nous avons manifestement une demande du public, à laquelle on s’efforce de répondre, mais souvent par hasard, comme dans le cadre de ma consultation mémoire. En matière de santé publique, l’Hôpital aurait tout intérêt à développer des lignes de prise en charge spécifiques aux cadres d’entreprise, qui sont les salariés soumis aux pressions les plus fortes.
Et pour les chefs d’entreprise ?
Les contraintes, pour les chefs d’entreprise, sont encore différentes : l’entreprise repose sur leurs épaules, avec toute la pression que cela peut engendrer. Pour eux, la dynamique d’aide est quasi inexistante. C’est un public que je vois peu, car il n’est pas demandeur. Ils ne se sentent pas concernés par les problèmes de santé mentale, ne s’écoutent pas, ne veulent pas montrer leurs faiblesses. Et, souvent, ils estiment ne pas avoir le choix ! La problématique est donc encore plus lourde pour les dirigeants.
Lire aussi notre article sur Les Antilopes, ces dirigeants qui viennent en aide aux autres dirigeants.
À SAVOIR
Enjeu souvent négligé, la santé du dirigeant sera la thématique du dîner-débat organisé en ouverture de la « Semaine de la Santé du dirigeant », le 7 avril 2025 à l’Hôtel Lyon Métropole par Ma Santé Events, avec le concours de la CPME du Rhône et d’Harmonie Mutuelle.
Stress, burn-out, insomnie, fatigue chronique : ces problématiques concernent directement les décideurs et influencent leurs performances ainsi que celles de l’entreprise. Des experts régionaux apporteront leur éclairage et prodigueront des conseils lors de deux tables rondes dédiées à la santé physique et mentale du dirigeant.
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19h00 – 20h00 : Apéritif d’accueil – Installation en salle et introduction
20h10 : Service de l’entrée
20h30 : Table ronde 1: Santé physique du dirigeant (experts et témoignages)
21h20 : Service du plat principal
21h50 : Table ronde 2: Santé mentale du dirigeant (experts et témoignages)
22h40 : Dessert et cafés







