Une femme qui n'arrive plus à dormir depuis des mois à cause d'un sommeil perturé par le stress.
En France, près de 20 millions de personnes seraient concernées par une mauvaise qualité de sommeil, selon l’Assurance Maladie (2025). © Freepik

Le sommeil des Français n’a jamais été aussi fragile. Entre un stress permanent, l’actualité anxiogène, les écrans omniprésents et un climat d’incertitude politique, nos nuits se sont raccourcies. Alors, une fatigue généralisée, une concentration en berne et un moral en dents de scie. Pourquoi dort-on si mal depuis des mois ? Explications.

Depuis plusieurs années, les études se succèdent et racontent la même histoire : les Français dorment de moins en moins bien. Une part croissante des Français se réveille plusieurs fois, s’endort tard, ou ouvre les yeux à l’aube sans pouvoir se rendormir. Le dernier baromètre INSV/MGEN 2025 indique que près d’un Français sur deux souffre d’au moins un trouble du sommeil. 

Le temps moyen de repos nocturne est désormais tombé à 6 heures et 42 minutes en semaine, contre plus de 7 heures il y a vingt ans.

Le week-end, nous rallongeons un peu la nuit, mais cette tentative de rattrapage reste illusoire. La dette de sommeil s’accumule, et les organismes peinent à récupérer. Le manque de sommeil n’est pas une simple question de confort. Il influence l’humeur, la mémoire, le métabolisme, le système immunitaire, et même la santé cardiovasculaire. 

Le stress, moteur principal des nuits écourtées

Si le stress a toujours existé, il a changé de nature. Il est devenu permanent, diffus, multiforme. Le Baromètre Empreinte Humaine / OpinionWay 2025 en dresse un constat alarmant : 64 % des salariés se disent stressés au travail, et près de la moitié présente une forme de détresse psychologique. Loin d’être un simple désagrément mental, ce stress se traduit dans le corps :    

  • tensions musculaires, 
  • hypervigilance, 
  • accélération du rythme cardiaque…

Autant de signaux physiologiques qui retardent l’endormissement et fragmentent le sommeil. Mais depuis la pandémie, la source du stress dépasse largement le cadre professionnel. L’inflation, la peur du déclassement, la succession de réformes et les crises à répétition (qu’elles soient sociales, politiques ou géopolitiques) alimentent un sentiment d’instabilité générale. Le cerveau, saturé d’informations anxiogènes, reste en alerte. « Nous avons intégré l’angoisse comme une donnée de fond », analyse la psychologue Christelle Lefèvre, spécialiste de la gestion du stress.

Cette impression d’insécurité collective est renforcée par la fatigue informationnelle, ce nouveau mal de notre époque. D’après une étude de la Fondation Jean-Jaurès et de l’Obsoco (2024), 54 % des Français disent être « fatigués de l’information ». En clair, nous consommons trop d’actualité, trop d’écrans, trop d’angoisse. Or, ce flot constant de nouvelles dramatiques ou polarisées maintient le cerveau dans un état d’alerte incompatible avec le repos. Le stress du monde finit par devenir celui de nos nuits.

Écrans, lumière bleue et rythmes déréglés : le piège de la modernité

Les chercheurs de l’Anses ont tiré la sonnette d’alarme dès 2019. La lumière bleue des écrans retarde la sécrétion de mélatonine, l’hormone du sommeil, et dérègle nos horloges biologiques. La multiplication des usages numériques, particulièrement le soir, a décalé l’heure d’endormissement moyenne de près d’une heure en dix ans.

Les jeunes sont les premiers touchés. Selon l’INSV, plus d’un tiers des 18–34 ans se couchent après minuit en semaine. Ce phénomène s’accompagne d’un nouveau mal contemporain, le jet lag social. En semaine, les réveils imposés par le travail ou les études obligent à se lever tôt ; le week-end, on se couche tard pour “profiter”. Ce décalage répété dérègle le rythme circadien, un peu comme si nous traversions plusieurs fuseaux horaires chaque semaine. Résultat : somnolence diurne, difficultés de concentration et fatigue chronique.

Les troubles du sommeil méconnus

Derrière les plaintes de fatigue, certains troubles spécifiques passent souvent inaperçus. C’est le cas de l’apnée obstructive du sommeil, qui touche environ 4 % de la population française, soit près de 2,5 millions de personnes, selon la Société Française de Recherche et Médecine du Sommeil (SFRMS). Pourtant, moins de la moitié sont diagnostiquées. En 2025, plus de 700 000 patients sont traités par ventilation à pression positive continue, un dispositif qui empêche les arrêts respiratoires nocturnes. Non traitée, l’apnée du sommeil augmente les risques d’hypertension, de diabète et d’accidents cardiovasculaires.

Autre trouble fréquent mais souvent ignoré : le syndrome des jambes sans repos, qui concernerait environ 8 % des Français. Ces sensations désagréables dans les jambes, le soir, empêchent de trouver le sommeil et fragmentent la nuit. À cela s’ajoutent les troubles hormonaux, notamment à la ménopause, qui perturbent le rythme biologique et la qualité du sommeil.

Les mauvaises habitudes de nos soirées

Nos rythmes de vie jouent aussi contre nous. Le café de 17 heures, le verre de vin du dîner ou le sport intensif de fin de journée deviennent des saboteurs de sommeil. La caféine, rappelle l’Anses, reste active jusqu’à six heures après ingestion. L’alcool, quant à lui, donne une illusion de détente mais désorganise la seconde moitié de la nuit, en réduisant la part de sommeil profond. Même le dîner trop copieux ou pris tard élève la température corporelle, perturbant le cycle naturel d’endormissement.

À cela s’ajoutent les effets du réchauffement climatique. Une étude publiée en 2025 dans Nature Communications a démontré qu’une hausse de 10 °C dans la température ambiante réduit en moyenne la durée du sommeil de 9,7 minutes par nuit, en particulier le sommeil profond. Les nuits d’été plus chaudes expliquent ainsi de nombreuses insomnies récentes.

Les médicaments : entre dépendance et illusion de repos

Les somnifères, longtemps présentés comme des alliés, peuvent se révéler de faux amis. La France reste l’un des plus gros consommateurs de benzodiazépines en Europe. En 2024, plus de neuf millions de Français en ont pris selon l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Ces traitements peuvent soulager ponctuellement, mais ne règlent pas le problème de fond. Une fois arrêtés, l’insomnie revient souvent plus forte. Leur usage prolongé expose à une dépendance, une baisse d’efficacité et des troubles cognitifs.

Les compléments à base de mélatonine, vendus librement, ne sont pas sans risque non plus. L’Anses a mis en garde dès 2018 contre leurs effets secondaires : somnolence diurne, vertiges, interactions médicamenteuses. La seule forme autorisée comme médicament, Circadin®, n’est indiquée que chez les plus de 55 ans pour une courte durée, dans le cadre d’insomnies dites « primaires ».

En France, la Haute Autorité de Santé recommande depuis 2021 la thérapie cognitivo-comportementale de l’insomnie (TCC-I) comme traitement de première intention. Elle agit sur les pensées et comportements qui entretiennent l’insomnie : ruminations, peur de ne pas dormir, mauvaises habitudes de coucher.

Plusieurs études montrent qu’après quelques semaines, la TCC-I améliore significativement la qualité du sommeil, avec des effets durables, sans dépendance ni effets secondaires. Des programmes numériques de TCC-I sont désormais disponibles et même remboursés par l’Assurance Maladie. Une petite révolution silencieuse dans la prise en charge du sommeil.

Mal dormir, aujourd’hui, n’est pas un hasard. C’est le reflet d’une époque saturée, inquiète, instable. Le manque de sommeil n’est pas seulement une question individuelle : il est devenu un symptôme collectif. Il dit nos écrans omniprésents, notre charge mentale, nos incertitudes économiques et politiques, notre difficulté à déconnecter.

Pourtant, rien n’est irréversible. Retrouver un bon sommeil passe par une meilleure compréhension de ses causes et par une hygiène de vie plus apaisée. Loin des pilules miracles, le sommeil se soigne d’abord par la lenteur, la régularité et la bienveillance envers soi-même. Dormir, dans une société qui ne s’arrête jamais, est peut-être devenu le plus beau geste de résistance.

À SAVOIR 

Selon Santé publique France (2024), dormir moins de six heures par nuit augmente de 30 % le risque de développer un trouble anxieux ou dépressif. L’Inserm, à travers la cohorte CONSTANCES, a également montré qu’une privation de sommeil durable favorise l’hypertension, le diabète de type 2 et les troubles métaboliques.

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Marie Briel
Journaliste Ma Santé. Après un début de carrière en communication, Marie s’est tournée vers sa véritable voie, le journalisme. Au sein du groupe Ma Santé, elle se spécialise dans le domaine de l'information médicale pour rendre le jargon de la santé (parfois complexe) accessible à tous.

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