Un médecin en zone rurale ausculte un patient.
Le maintien de l'accès aux soins, y compris dans les zones les moins dotées, est l'une des grandes priorités de l'Agence régionale de Santé en Auvergne-Rhône-Alpes. © Shutterstock

Directrice générale de l’Agence Régionale de Santé Auvergne-Rhône-Alpes, Cécile Courrèges coordonne la politique de santé en Auvergne-Rhône-Alpes. Tirant les enseignements de la récente crise sanitaire, elle insiste sur l’importance de maintenir une offre de soins de qualité malgré une raréfaction des professionnels de santé sur certains territoires.

Quels sont, en cette rentrée 2024, les grands enjeux de l’ARS ?

Ces enjeux s’inscrivent dans le Schéma Régional de Santé adopté en octobre 2023. On y retrouve les grandes priorités. D’une part, la prévention/promotion de la santé pour la rendre plus visible et plus concrète. Cela se traduit déjà, par exemple, par la campagne menée auprès des collégiens pour la vaccination contre le papillomavirus ou la promotion du traitement préventif Beyfortus contre la bronchiolite. En matière de prévention, on souhaite aussi mettre l’accent sur les risques environnementaux, en lien avec le changement climatique.

Deuxième priorité, l’accès aux soins avec une priorité, maintenir l’offre existante sur l’ensemble de nos territoires avec le même degré d’exigence en termes de qualité et de sécurité des soins. Compte tenu des difficultés actuelles de ressources humaines, cela signifie attirer mais aussi fidéliser les professionnels de santé vers les établissements.

Le troisième enjeu tourne autour de l’accompagnement des personnes âgées et en situation de handicap pour leur offrir des solutions inclusives et leur permettre de rester, si c’est leur choix, le plus longtemps possible à leur domicile ou dans leur lieu de vie.

Enfin, le dernier enjeu concerne la lutte contre les inégalités territoriales en matière de santé. Un enjeu complexe compte tenu de la taille et de la diversité de notre région.

L’une des préoccupations de nos concitoyens concerne effectivement l’impossibilité de trouver un médecin traitant. Quelles sont les solutions pour améliorer cette situation en Auvergne-Rhône-Alpes ?

En France, on est actuellement au creux de la démographie médicale, et pour quelques années encore. Auvergne-Rhône-Alpes n’échappe pas à cette situation, même si d’autres régions sont plus en difficulté. Contrairement à certaines idées reçues, cette problématique de l’accès au médecin traitant n’est pas spécifique au milieu rural. On constate aussi ce phénomène dans certaines zones urbaines ou péri-urbaines.

Sachant que le nombre de médecins n’augmentera pas avant quelques années, il faut faire évoluer les modalités d’exercice et d’installation pour encourager les professionnels de santé à s’implanter dans les zones sous-dotées. Il faut aussi leur permettre d’optimiser le temps médical.

Comment ?

D’abord, via la formation. Les premiers effets de la suppression du numerus clausus pour les médecins devraient être perceptibles d’ici deux ans avec une augmentation, en fonction des disciplines, de 20 à 30% des internes qu’il faudra inciter à aller vers certains territoires plus éloignés des centres de formation, pour leur faire découvrir d’autres territoires possibles d’exercice. Cela passe, notamment, par l’engagement de maîtres de stage susceptibles d’accueillir et faire découvrir les attraits de certaines disciplines ou de zones sous dotées.

Cécile Courrèges, directrice générale de l'Agence régionale de Santé Auvergne-Rhône-Alpes. ©F.Ledru
Cécile Courrèges, directrice générale de l’ARS AuRA.

Autre levier, la qualité de vie au travail. Les jeunes veuillent travailler en équipes, avec un exercice partagé et des tâches administratives allégées. Le développement des maisons de santé pluriprofessionnelles constitue une réponse à leurs aspirations. La région Auvergne-Rhône-Alpes est leader en la matière, avec un doublement de ces MSP en cinq ans et un objectif identique dans les années à venir.

Les CPTS (Ndlr : Communauté Professionnelles territoriales de santé) sont aussi une solution. Dans ce cas, les professionnels de santé n’exercent pas sous le même toit mais ils fonctionnent en réseau. Pour dégager du temps médical, on essaie également d’alléger les médecins de certaines tâches. C’est le rôle des assistants médicaux développés avec l’Assurance maladie.

Dans le même esprit, on fait monter en compétences d’autres professions de santé, notamment les infirmiers libéraux qui peuvent, à titre expérimental dans la région, délivrer les certificats de décès. Les pharmaciens, eux, ont désormais la faculté de vacciner ou de délivrer certains médicaments sans prescription initiale.

C’est la somme de toutes ces initiatives qui va permettre de dégager du temps médical et assurer la prise en charge du patient par le bon professionnel. Dans chaque département, c’est aussi le rôle du SAS (Ndlr : Service d’accès aux Soins), accessible via les centres 15, à toute heure pour gérer les demandes de soins urgents mais aussi de soins non programmés en cas d’indisponibilité d’un médecin traitant. Au bout du fil, un régulateur est présent pour orienter le patient, voire lui fournir un simple conseil médical en fonction de son état de santé.

Autre problème, la saturation des services d’urgences. Comment éviter ces périodes de surchauffe ?

On a toujours connu des périodes de surchauffe, surtout en périodes estivale et hivernale en Auvergne-Rhône-Alpes. Cela étant, depuis la fin de l’épidémie de Covid, on constate une tension aux urgences qui dépasse le cadre saisonnier, avec un problème de ressources humaines et un manque d’urgentistes.

Cela exige, de la part de l’ARS, de travailler sur l’amont et l’aval des urgences. En amont, pour faciliter l’accès à un médecin sans aller systématiquement aux urgences si l’état de santé ne présente pas de caractère d’urgence. La création des SAS va dans ce sens en orientant le patient vers de la consultation de soins non programmés organisés. En aval, il faut que les patients restent le moins longtemps dans les services d’urgences pour éviter des situations de saturation.

Enfin, en cas de fermetures temporaires de services d’urgences, on travaille avec les SAMU et les centres hospitaliers pour réorienter correctement les patients, la priorité étant de ne jamais laisser un patient sans solution de prise en charge.

La crise sanitaire liée au Covid a constitué un formidable coup de projecteur sur les professionnels de santé, avec concerts de casseroles et applaudissements aux fenêtres. Quatre ans plus tard, l’état de grâce est-il terminé ?

Pour les personnels soignants, ce n’était pas vraiment l’état de grâce ! Du jour au lendemain, ils se sont retrouvés en première ligne et on ne peut encore que les remercier pour cette mobilisation formidable durant trois ans. Durant cette longue période, notre système de santé a été sous tension et il a su faire face.

Aujourd’hui, la santé est l’une des préoccupations majeures des Français avec l’éducation et la sécurité, ce qui n’était pas le cas avant la crise sanitaire. Chacun a pris conscience que la santé était un bien précieux et que la préservation de ce bien passait par l’investissement quotidien des professionnels de santé.

Pourtant, paradoxalement, il semble que ces professions de santé font de moins en moins rêver…

C’est effectivement l’un des grands défis des années à venir. Le système de santé s’appuie sur des hommes et des femmes. Le personnel représente, par exemple, 70% des dépenses d’un hôpital. Longtemps, on s’est focalisé sur les professions médicales. Aujourd’hui, cette problématique des ressources humaines s’étend aux professions paramédicales.

Pour attirer et fidéliser, il faut valoriser ces professions, ces métiers qui ont du sens. La preuve, la filière infirmière continue d’être plébiscitée sur parcours Sup. Mais ces métiers, soumis à une charge mentale très forte, présentent aussi des contraintes de fonctionnement. En effet, un service de santé tourne 24h/24, avec du travail de nuit, le week-end, des astreintes. Sachant que la tendance est à un meilleur équilibre en vie personnelle et vie professionnelle, cela exige de trouver des réponses adaptées en termes de conditions et d’organisation de travail.

Parallèlement, il faut réfléchir à une diversification des parcours professionnels car, aujourd’hui, les professionnels de santé ne veulent plus forcément passer quarante ans dans le même service, à faire le même métier. Cela exige de proposer de nouveaux parcours professionnels, d’autres modes d’exercice. C’est un travail que nous menons en lien avec les facultés, la Région et France Travail.

Après l’annonce récente d’une moindre revalorisation de ses tarifs, l’hôpital privé s’est plaint du manque de considération de l’État par rapport au public. La guerre public-privé est-elle ravivée en Auvergne-Rhône-Alpes, alors que la crise Covid avait démontrée l’intérêt de travailler en symbiose ?

Il y avait des coopérations public-privé avant le Covid. Mais c’est vrai que la crise sanitaire a permis une mobilisation et une organisation commune d’une grande efficacité. Aujourd’hui, l’ARS mise toujours sur cette complémentarité en s’attachant moins au statut de l’établissement qu’à la réponse de santé apportée sur le territoire. On continue de soutenir des coopérations public-privé, même si les problématiques de ressources humaines évoquées précédemment aggravent les effets de concurrence sur certains secteurs.

La télémédecine peut-elle solutionner une partie de ces problèmes de ressources humaines ?

Oui, en partie. Le Covid a accéléré le développement de la télémédecine. C’est un atout supplémentaire dans notre système de santé mais cela ne résout pas tous les problèmes. Prenez l’exemple d’une personne âgée polypathologique qui a besoin d’un suivi régulier, au long cours, avec la consultation de plusieurs professionnels de santé. La télémédecine ne suffira pas pour assurer son parcours de soins.

Au-delà des consultations, un autre volet de la télémédecine se développe rapidement, c’est la télé-expertise. Pour un professionnel de santé, notamment un médecin généraliste, le principe consiste à obtenir à distance l’avis d’un expert médical spécialisé. L’ARS soutient le développement de cette télé-expertise avec le lancement d’un nouvel appel à projet.

Beaucoup d’expérimentations pour faire évoluer notre système de santé sont menées en Auvergne-Rhône-Alpes. Pouvez-vous nous présenter certains concepts particulièrement novateurs en santé ?

C’est vrai que la région est en pointe en matière d’innovation avec de nombreux projets menés à l’échelle régionale ou inter-régionale. Certains sont en phase d’évaluation. D’autres sont déjà rentrés dans le droit commun. C’est le cas, par exemple, de la régulation des soins dentaires en urgence les dimanches et jours fériés. Un projet porté dans le cadre de l’Article 51 (de la loi de finance de la sécurité sociale 2018) par plusieurs conseils départementaux de chirurgiens-dentistes qui a, depuis, été développé à l’échelle nationale.

Autre expérimentation prometteuse, celle menée par le Centre Léon Bérard, avec les URPS médecins libéraux et Infirmiers, sur l’immunothérapie à domicile. Jusqu’à présent, il fallait se rendre à l’hôpital pour bénéficier de ce traitement très efficace contre certains cancers. Si les conclusions sont positives, cela peut vraiment améliorer la qualité de vie de nombreux patients.

Outre l’Article 51, d’autres projets sont développés dans le cadre du CNR (Conseil National de la Refondation) qui exigent un amorçage financier. Exemple, Grigny, commune du Rhône de 10 000 habitants, s’est retrouvée du jour au lendemain sans le moindre médecin traitant. Grâce aux fonds injectés dans le cadre du CNR et une mobilisation de tous les acteurs, une permanence médicale s’est d’abord mise en place, suivie de l’installation de médecins dans la commune qui doit aboutir à la création d’une véritable maison de santé pluri professionnelle. Il fallait juste donner le coup de pouce permettant à tous les acteurs autour de la table de trouver les solutions.

Dans la santé et les questions de maintien d’une présence médicale sur le territoire, la solution se trouve souvent dans cette mise en réseau, cette réflexion commune entre collectivités locales, professionnels de santé et acteurs publics au sens large. Dans cette perspective, l’ARS peut être l’élément fédérateur.

La région a payé un lourd tribut humain lors de la précédente crise sanitaire. Craignez-vous une nouvelle épidémie ? L’ARS est-elle prête à relever de nouveaux défis ?

Le Covid nous a rendu humble. On a beaucoup appris en matière de gestion des risques. Mais on ne sait pas d’où viendra le prochain risque. Avant le Covid, on craignait surtout les attentats. Demain, ce peut être un grand accident industriel type AZF. Il faut donc se préparer à réagir à tous les risques, pas seulement épidémiques. Cela exige des plans, de la formation mais aussi des exercices réguliers, sur site, pour tester, informer, améliorer.

Enfin, le Covid a mis en évidence que la gestion de crise, c’était l‘affaire de tout le monde. Pas seulement des experts. Ainsi, au début de la crise sanitaire, la direction de la Santé Publique a été en première ligne pour faire face au risque épidémique. Mais très vite, il a fallu gérer l’impact sur le système de santé, avec la prise en charge hospitalière, le suivi dans les Ehpad et le monde du handicap. L’hospitalier, ce sont les équipes de l’offre de soins. La fragilité des personnes âgées dans les Ehpad, c’est du ressort de la direction à l’autonomie. Il y avait aussi les problèmes de contamination de l’eau gérées par les équipes de santé environnement. Et sur chacun de ses sujets les délégations départementales de l’ARS. Tous les services ont donc été mobilisés. On a compris que chacun devait apporter sa pierre à l’édifice pour faire face à cette crise inédite. Bref, il y aura un avant et un après Covid. Tout n’a pas été oublié. Heureusement…

À SAVOIR

Cécile Courrèges, nommée directrice générale de l’Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes le 19 avril 2023 en conseil des ministres, a pris ses fonctions le 15 mai 2023. Diplômée de l’Ecole nationale de l’administration (ENA) et étant passée par l’Ecole nationale de la santé publique (ENSP), elle a occupé plusieurs fonctions ministérielles, dirigée l’Institut national du cancer (INCa) et les ARS Bourgogne et Pays de Loire avant d’être chargée, en 2022, de proposer une réorganisation ministérielle de la préparation et de la gestion des crises sanitaires.

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Enfant des radios locales, aujourd'hui homme de médias, il fait partager son expertise de la santé sur les supports print, web et TV du groupe Ma Santé AuRA.

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