Une femme épuisée, victime du poids de sa charge mentale au travail.
71 % des femmes salariées déclarent ressentir une charge mentale élevée dans leur vie professionnelle. © Adobe Stock

Entre réunions, enfants, repas, courses, rendez-vous médicaux… Beaucoup de femmes actives ont le sentiment d’être en apnée. Et ce n’est pas qu’une impression, c’est ce que l’on appelle la charge mentale. Un poids invisible qui ronge la santé mentale et physique, grignote le sommeil et freine parfois les ambitions professionnelles.

La charge mentale, ce n’est pas seulement faire, c’est penser à faire. Organiser, anticiper, planifier, vérifier que tout tourne sans heurts… Une gymnastique permanente qui s’ajoute au travail rémunéré. Le concept, théorisé dans les années 1980 par la sociologue Monique Haicault, désigne ce travail cognitif et émotionnel souvent invisible mais épuisant.

Dans la réalité, cette charge repose encore largement sur les épaules des femmes. Même quand les tâches domestiques sont partagées, elles restent souvent celles qui coordonnent, qui se souviennent, qui anticipent. « C’est un travail d’organisation mentale qui ne s’arrête jamais », résume l’INED (Institut national d’études démographiques) dans sa dernière enquête FamEmp publiée en octobre 2025.

Quand la vie professionnelle empiète sur la vie personnelle

L’étude FamEmp (INED, 2024-2025) a interrogé plus de 41 000 personnes de 20 à 65 ans sur leur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Le constat est net, 85 % des femmes disent que la fatigue liée à leur activité professionnelle pèse sur leur vie personnelle, contre 78 % des hommes. Plus de 38 % estiment que leurs responsabilités familiales perturbent leur concentration au travail, et près d’une sur quatre reconnaît devoir renoncer à du temps professionnel pour préserver sa vie privée.

Cette tension entre les deux sphères n’est pas qu’une question d’organisation. Elle a un impact direct sur la santé. Les femmes qui déclarent de fortes tensions entre vie privée et vie professionnelle ont trois fois plus de risque d’évaluer leur santé comme “mauvaise ou très mauvaise” que celles qui ne ressentent pas ces tensions.

« C’est un cercle vicieux. La fatigue du travail pèse sur la vie personnelle, et la surcharge domestique rejaillit sur la qualité du travail et la santé mentale », explique la sociologue Anne Solaz, coautrice de l’étude pour l’INED.

Un mal-être mesurable : stress, fatigue et troubles du sommeil

Les chiffres confirment ce que beaucoup vivent au quotidien. Selon le baromètre IFOP / News RSE, réalisé auprès de 1 000 femmes salariées, 71 % déclarent ressentir une charge mentale élevée liée à la combinaison travail-famille.

Plus de la moitié (53 %) évoquent du stress ou de l’angoisse quotidienne, et 49 % déclarent souffrir de troubles du sommeil. Cette tension mentale se traduit par des effets physiques : 

Les professionnels de santé alertent sur les conséquences physiologiques d’un stress continu, notamment une production accrue de cortisol, qui dérègle le sommeil et affaiblit le système immunitaire.

Les symptômes s’accumulent : insomnies, troubles digestifs, perte d’énergie, anxiété. À long terme, cette charge mentale non régulée peut mener à l’épuisement. Selon le baromètre Empreinte Humaine et OpinionWay, 45 % des salariés français présentent aujourd’hui des signes de détresse psychologique, et un sur trois serait exposé au risque de burn-out (dont 10 % dans un état critique). Les femmes, les managers et les télétravailleurs figurent parmi les plus vulnérables. 

Quand la charge mentale freine les carrières

L’autre conséquence, plus silencieuse, c’est le renoncement. Renoncer à une promotion, à un poste plus exigeant, à une mobilité, par peur de ne plus tenir le rythme. Selon le même baromètre IFOP, près d’une femme sur cinq reconnaît avoir refusé une évolution de carrière pour éviter d’aggraver sa charge mentale.

Un constat que confirme l’INED. Lorsqu’elles ressentent un déséquilibre entre vie pro et vie perso, les femmes envisagent plus souvent de changer de poste ou d’entreprise, plutôt que d’ajuster leurs responsabilités familiales. Le poids de la double journée finit ainsi par influencer des choix professionnels.

Pour France Assos Santé, cette charge mentale constante explique en partie la prévalence plus forte des troubles de santé mentale chez les femmes. 17 % d’entre elles ont connu un épisode dépressif caractérisé au cours des douze derniers mois, contre 10 % des hommes.

Pourquoi, en 2025, cette inégalité persiste-t-elle ?

Les chercheurs de l’INED et de l’INSERM évoquent une “inertie des normes sociales”. Malgré l’évolution du monde du travail, les femmes continuent d’endosser la responsabilité du foyer. « Ce n’est pas une question de volonté individuelle, mais de culture collective », expliquait récemment la sociologue Hélène Périvier.

Les conditions de travail aggravent souvent la situation. Horaires longs, imprévisibles, faible autonomie… Autant de facteurs qui rendent difficile la conciliation. L’étude FamEmp montre que les femmes aux horaires atypiques (soir, week-end, nuit) sont les plus exposées aux tensions.

Quant au télétravail, il n’est pas toujours une solution. Certes, il offre une flexibilité précieuse, mais il efface aussi les frontières entre sphères. Le risque est de travailler plus, tout en gérant simultanément les obligations domestiques. L’INED le note, la flexibilité non encadrée accroît souvent la fatigue mentale.

Un enjeu de santé publique

La charge mentale n’est plus un sujet “privé”. Elle est désormais reconnue comme un enjeu de santé publique. Le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE) a d’ailleurs recommandé en 2024 d’intégrer la santé mentale genrée dans les politiques publiques, soulignant que « les femmes assument toujours une part disproportionnée du travail domestique, y compris cognitif ».

Le cerveau est en état d’hypervigilance constante chez les femmes. Cette activité cognitive ininterrompue a les mêmes effets que le stress chronique : troubles du sommeil, fatigue physique, baisse de motivation et risque dépressif.

Les entreprises commencent à s’en emparer. Certaines proposent désormais des programmes de qualité de vie au travail (QVT) axés sur la déconnexion, la flexibilité horaire, ou la reconnaissance du travail invisible. Mais ces initiatives restent ponctuelles.

Redonner de la respiration

Parler de charge mentale, c’est déjà rendre visible l’invisible. C’est reconnaître qu’au-delà du travail, beaucoup de femmes portent une responsabilité silencieuse, celle de penser à tout, pour tout le monde.

Réduire cette surcharge passe par une répartition plus équitable des tâches, une organisation du travail plus souple, et surtout une reconnaissance symbolique et sociale de ce travail invisible.

À SAVOIR 

Les femmes consacrent en moyenne 1h30 de plus par jour que les hommes aux tâches domestiques et parentales, même lorsqu’elles travaillent à temps plein selon une étude de la DARES (Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques). 

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Marie Briel
Journaliste Ma Santé. Après un début de carrière en communication, Marie s’est tournée vers sa véritable voie, le journalisme. Au sein du groupe Ma Santé, elle se spécialise dans le domaine de l'information médicale pour rendre le jargon de la santé (parfois complexe) accessible à tous.

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