
En quelques années, la mélatonine est devenue la petite pilule star du sommeil. Naturelle, douce, sans accoutumance apparente… Elle a tout pour séduire. Pourtant, plusieurs signaux venus des autorités sanitaires françaises invitent à la prudence. Car si la mélatonine peut aider à mieux dormir à court terme, son usage prolongé pose question. Explications.
La mélatonine est d’abord une hormone. Produite par la glande pinéale, elle agit comme un chef d’orchestre du cycle veille-sommeil. Sa sécrétion augmente quand la lumière baisse, signalant au corps qu’il est temps de dormir.
On l’appelle souvent « l’hormone du sommeil », mais elle n’endort pas à proprement parler ; elle indique simplement à l’organisme qu’il fait nuit.
Sous forme de complément alimentaire, la mélatonine a été présentée comme une alternative plus douce aux somnifères. Et pour cause, elle n’induit pas de dépendance chimique et ne provoque pas, en principe, de somnolence résiduelle au réveil.
D’après un rapport de la Haute Autorité de Santé (HAS), le médicament à base de mélatonine (Circadin®, 2 mg à libération prolongée) est indiqué pour les plus de 55 ans souffrant d’insomnie primaire. Mais même dans ce cadre, l’efficacité reste jugée modeste. La HAS estime qu’il n’existe pas d’avantage clinique démontré par rapport à un placebo ou à d’autres options thérapeutiques.
En parallèle, les compléments alimentaires, souvent dosés à moins de 2 mg par comprimé, se sont imposés en pharmacie et sur internet. En France, on en trouve pour faciliter l’endormissement, réduire le décalage horaire ou retrouver un rythme naturel.
Mais cette banalisation pose un problème. En dehors des indications médicales précises, l’usage prolongé n’a jamais été évalué de manière approfondie.
Le succès grandissant des “solutions naturelles” pour dormir
La mélatonine coche toutes les cases d’un produit séduisant. Elle est présentée comme naturelle, régulatrice, et censée remettre l’organisme à l’heure sans les effets secondaires des somnifères classiques.
Selon un sondage IFOP, près d’un Français sur cinq déclare avoir déjà pris de la mélatonine, souvent sans avis médical. Une consommation en hausse, notamment depuis la pandémie de Covid-19, période durant laquelle les troubles du sommeil ont explosé.
Mais comme le souligne l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES), « naturel » ne veut pas dire « inoffensif ». L’agence rappelle que la mélatonine est bel et bien une hormone, et que la supplémentation n’est pas anodine, surtout lorsqu’elle s’installe dans la durée.
La mélatonine est-elle dangereuse à long terme ?
Ce que dit la science aujourd’hui
Sur le court terme, les résultats sont plutôt rassurants. Les études montrent une bonne tolérance générale et une efficacité modeste sur l’endormissement, notamment dans les cas de décalage horaire ou de troubles du rythme circadien. Mais sur le long terme, la recherche reste quasiment muette.
Le manuel MSD, référence médicale internationale, note : « on ne sait pas si l’utilisation à long terme de la mélatonine présente un danger ». Autrement dit, l’innocuité n’a pas été démontrée, faute d’études, pas faute d’effets. La plupart des essais durent moins de trois mois, parfois quelques semaines seulement.
Or, en France comme ailleurs, certains consommateurs en prennent tous les soirs, depuis des années. Et c’est là que la prudence devient nécessaire. Sans données de suivi à long terme, impossible de garantir l’absence de risque.
Les signaux d’alerte français
Entre 2009 et 2017, le dispositif de nutrivigilance de l’ANSES a enregistré 90 cas d’effets indésirables liés à la mélatonine, la plupart modérés mais certains plus sérieux. Les symptômes les plus fréquents : céphalées, vertiges, somnolence diurne, cauchemars, irritabilité, douleurs abdominales.
Quelques cas de troubles psychiatriques, neurologiques ou cardiovasculaires ont également été recensés. L’agence recommande une prudence accrue pour plusieurs populations :
- les enfants et adolescents, chez qui les effets hormonaux à long terme sont inconnus ;
- les femmes enceintes ou allaitantes ;
- les personnes souffrant de maladies auto-immunes, inflammatoires, d’épilepsie, d’asthme ou de troubles de l’humeur ;
- et toute personne suivant un traitement médicamenteux (antihypertenseurs, anticoagulants, antidépresseurs, immunosuppresseurs…).
Dans ces cas, l’automédication est déconseillée. « En l’absence de données suffisantes sur les effets à long terme, la consommation doit rester ponctuelle », insiste l’ANSES.
Pourquoi la prise prolongée pose problème
La mélatonine n’agit pas seule, elle influence l’ensemble du système circadien, c’est-à-dire notre horloge biologique. En apporter tous les soirs sous forme de comprimé peut donc, à la longue, désynchroniser ce système au lieu de le réguler.
Le corps, habitué à recevoir un signal externe, peut réduire sa production naturelle. On parle d’un risque de « rebond » hormonal, comparable à ce qu’on observe parfois avec la caféine ou certains somnifères.
La mélatonine interagit avec d’autres hormones, notamment celles impliquées dans la reproduction et la régulation métabolique. Des études animales ont suggéré qu’un excès prolongé pourrait influencer la fertilité ou certaines fonctions endocriniennes, mais ces données restent à confirmer chez l’humain.
Enfin, il existe le risque de banalisation. À force de considérer la mélatonine comme un “petit coup de pouce” inoffensif, beaucoup l’utilisent en continu, parfois pour masquer des troubles du sommeil plus profonds : stress chronique, anxiété, apnée du sommeil, ou mauvais rythme de vie. Le danger n’est alors pas seulement biologique, mais aussi comportemental. Le réflexe du comprimé prend la place de la recherche de la cause.
Les solutions pour dormir : le paradoxe du “naturel”
C’est peut-être là le cœur du problème. Parce qu’elle est naturellement produite par le corps, la mélatonine inspire confiance. Elle évoque la douceur, la régulation, la solution simple à un mal moderne. Mais une hormone, qu’elle soit endogène ou en comprimé, reste une molécule active. En modifier les niveaux artificiellement n’est jamais neutre.
Comme le résume le Centre Belge d’Information Pharmacothérapeutique, la mélatonine est « une substance hormonale » qui, à forte dose ou sur la durée, « peut provoquer des effets indésirables et interagir avec de nombreux médicaments ».
La mélatonine : un usage à encadrer, pas à interdire
Faut-il pour autant bannir la mélatonine ? Non, évidemment. Utilisée de façon ponctuelle, à faible dose, elle peut aider certaines personnes à retrouver un rythme de sommeil plus stable. Mais l’usage chronique, lui, doit être encadré, expliqué, accompagné.
Les spécialistes du sommeil recommandent de ne pas dépasser quelques semaines de prise continue, et toujours de commencer par les bases :
- un coucher régulier ;
- la suppression des écrans une heure avant de dormir pour éviter les effets néfastes de la muùière bleue ;
- la lumière du matin (exposition naturelle ou lampe de luminothérapie) ;
- la réduction de la caféine et de l’alcool.
Ces ajustements, souvent négligés, sont bien plus puissants qu’une capsule de mélatonine. Et surtout, ils ne dérèglent pas les mécanismes hormonaux internes.
À SAVOIR
Une méta-analyse de 2022 (PubMed, Dove Medical Press) estime que la mélatonine à faible dose est bien tolérée, mais que ses effets à long terme restent mal connus. En clair, elle n’est pas totalement inoffensive lorsqu’elle est prise sur de longues périodes sans avis médical.







